Tribunes

Le pétrole, les taxes et la grogne

Par Patrice Salini, économiste des transports

Les professionnels, comme d’ailleurs les autres consommateurs de carburants, sont sensibles aux variations de leurs prix. Les ménages y consacraient en 2017 plus de 3% de leurs dépenses, et près de 23 % de leurs dépenses de transport. Quant aux transporteurs routiers, c’est, pour les grands routiers 25 % de leurs coûts, et un peu plus de 21 % en régional 40 T (source CNR).

Or, on sait que le prix à la pompe ou à la cuve résulte de quatre éléments :

  • Le prix du pétrole
  • Le cours de notre monnaie par rapport au dollar
  • Les coûts de raffinage et d’approvisionnement/distribution
  • Les taxes (accises et, pour les ménages, TVA).

Dès que les prix de détail s’envolent, on se tourne donc selon les cas et les moments vers l’Etat (taxateur massif), les raffineurs et distributeurs (voir le débat actuel en Corse autour du « monopole » du dépositaire Ruby), etc… Dans notre système, le paradoxe apparent est que plus les taxes sont élevées – et augmentent – plus les variations des prix du pétrole sont amorties, puisqu’on achète plus de taxes que de pétrole. Autrement dit, ceux qui ont un carburant détaxé (Air, mer, etc..) réclament des hausses plus fortes de tarifs à leurs clients.

Mais, quelle que soit la nature des hausses (taxes, cours du pétrole, ou marges), l’utilisateur final supporte mal leur caractère brusque. Ce qui est fréquent.

Or, le plus souvent, les politiques fiscales ne sont pas à l’origine des grosses variations, mais viennent, parfois de manière inadéquate ou « à contre-temps » les amplifier. Ainsi, alors que le prix du pétrole s’envole depuis janvier 2016 sans revenir aux niveaux de 2011 ou 2007, la politique fiscale française intervient mal à propos pour alourdir la note.

En septembre 2000, les blocages organisés pour obtenir la détaxation (partielle) du gazole professionnel sont intervenus alors que le carburant a augmenté de 35% en dix-huit mois en raison du triplement du prix du pétrole brut (10 dollars le baril en janvier 1999, 34 dollars en août 2000). Et on touche là le problème des politiques fiscales de l’énergie. Déconnectées des prix de marché du pétrole, elles sont perçues comme une ressource fiscale parfois punitive, et en rien comme l’instrument d’une politique énergétique. Les courbes le montrent d’ailleurs parfaitement. Le prix du carburant oscille, rendant illisible la politique des gouvernements.

On le voit parfaitement en examinant la courbe du prix à la pompe TTC du Gazole. Les niveaux atteints en 2008 et 2012 étaient comparables à ceux d’aujourd’hui. Et nous savons que la tendance historique du prix du pétrole peut difficilement demeurer longtemps baissière. D’ailleurs les travaux de prospective du milieu des années 2000 tablaient plutôt sur des barils à 200 voire 300 $ !.

Or, entre le milieu des années 1990 et 2013 le niveau général de taxes en pourcentage du prix au litre a diminué. Cette fois, la reprise du mouvement haussier du pétrole coïncide alors avec celui des taxes et est appelé à se poursuivre. Cette situation rend d’autant plus incompréhensible une politique fiscale non modulée, que les contreparties prévues n’existent pas, contrairement aux prescriptions de la loi sur la transition énergétique.

Pour les entreprises le mécanisme supporté est double. Il n’y a pas seulement une augmentation d’un facteur de production. Les transporteurs doivent, on le sait, subir des délais de paiements respectant difficilement la règle des 30 jours, tandis que le gazole se paie plutôt comptant. Plus encore, l’indexation des prix routiers, pour autant qu’elle fonctionne, intervient nécessairement avec décalage dans le temps. Ces « semaines perdues » en période de hausse des coûts provoquent un problème de trésorerie pour les entreprises les plus fragiles.

Les ménages – qui ont des charges récurrentes chaque mois, lorsque leurs salaires sont constants ou faiblement haussiers, où comme le revenu disponible des retraités en baisse, sont confrontés à une baisse de pouvoir d’achat sans alternative possible. La concomitance entre la hausse du pétrole et des taxes est ainsi perçue comme « punitive », ce que ne vient nullement pondérer le discours sur le climat, par ailleurs inaudible par défaut de politique crédible.

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