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Biocarburants : le rapport de la Cour des comptes qui épingle la France

Dans un rapport sur les biocarburants publié en début d’année, la Cour des comptes n’hésitait pas à remettre en cause la politique de la France. Elle critique notamment le choix fait de ne développer que les biocarburants de 1ère génération, au détriment des filières de 2ème génération. Elle évoque par ailleurs un maque réel de financement et d’une « défiscalisation empirique » des biocarburants. Nous avons lu et analysé dans le détail ce rapport.

Le troisième opus d’évaluation de la Politique d’évaluation des carburants par la Cour des Comptes (après les rapports de 2012 et 2016) analyse les résultats de la politique énergétique française en matière de biocarburants. Une politique conduite initialement pour assurer des débouchés à la filière agricole devant faire face à la réforme en 1992 de la politique agricole commune. Mais rapidement sont venus s’y ajouter des motifs d’indépendance énergétique et d’enjeux de réduction des gaz à effet de serre. La Cour des comptes relève que la France figurait, avec une incorporation de 9.25% de biocarburants dans son panel énergétique en 2019, parmi les « bons élèves » européens quant à leur développement. Elle estime le nombre d’emplois induits à 18 600 dans les industries de transformation et 13 500 dans la filière agricole.

Elle s’inquiète toutefois d’une balance commerciale défavorable sur ces produits, en particulier pour les EMAG[1] (25% de matières premières françaises), la situation étant moins critique mais toujours peu satisfaisante pour l’ethanol[2] (66% de matières première françaises). Pour autant, le développement des cultures en France de plantes oléo protéagineuses a un impact favorable … sur l’approvisionnement agricole en protéines pour l’alimentation animale, jusqu’à lors excessivement dépendantes d’importations venant des Amériques. La question étant toutefois réglée par la Directive EnR qui a plafonné à 7% la part d’énergie finale fournie par les cultures alimentaires pour l’année 2020.

L’Europe et le Ministère de la Transition écologique et solidaire taclés

La Cour relève également qu’en raison de choix technocratiques et fiscaux français, les « biocarburants ayant les meilleures performances en terme de réduction des gaz à effet de serre sont attirés vers [la Suède et l’Allemagne] qui les valorisent davantage ». En fait, la Cour critique le choix fait de ne développer en France que les biocarburants de 1ère génération, au détriment des filières de 2ème génération[3]. A ce sujet, la Cour relève « que les efforts de recherche sont en baisse (…) conséquence de l’incertitude quant à la stratégie française (…) L’interdiction de vente de véhicules thermiques neufs à partir de 2035 rend d’autant plus nécessaire une clarification de cette stratégie, en anticipant la baisse de consommation de biocarburants conventionnels qui en résultera, ainsi que par ailleurs une hausse potentielle des besoins en biocarburants avancés[4] » La cour enfonce le clou plus loin dans le document : « Un consensus existe toutefois sur les problèmes que pose l’instabilité des politiques publiques, particulièrement dans un contexte de défis et d’incertitudes marqués pour l’industrie [automobile]». L’Europe et la France sont sévèrement taclées par la Cour sur ce sujet. Laquelle relève les incohérences entre l’électrification à marche forcée et les objectifs d’énergies renouvelables. Les objectifs de l’une pénalisant la seconde puisque la réduction des émissions de CO2 à l’échappement ne tient pas compte des « économies d’émissions par rapport à celle de carburants fossiles en analyse de cycle de vie ».

La conséquence ? « Elle présente donc des risques significatifs de marginalisation du recours aux carburants liquides et gazeux d’origine renouvelable, dont les émissions brutes de GES et polluants sont très proches de celles des carburants fossiles et qui ne sont conventionnellement réduites que par référence à l’absorption préalable de CO2 qui a résulté de la culture ou de la croissance de la biomasse dont ils sont issus ». Ces fragilités sont redoutables pour la pérennité de démonstrateurs industriels comme BioTfueL (produisant du bioHVO à partir de biomasse) ou Futurol reconnus comme « deux réels succès technologiques mais [qui] peinent à trouver un modèle d’affaires viable ».

La solution ? Analyser les émissions des véhicules non plus seulement à l’échappement mais du « berceau au tombeau ». Cette analyse, défendue scientifiquement par l’IFP Energies Nouvelles, n’arrangerait évidemment pas les affaires des influents promoteurs du tout électrique à batteries ! Quitte à doucher certains enthousiasmes très médiatiques, la Cour conclut : « les biocarburants avancés sont plus proches d’un déploiement industriel que des solutions de type hydrogène, au calendrier plus incertain ». Pourtant, ce denier bénéficie de 7.2 milliards d’euros dans le cadre du plan de relance alors que rien n’est prévu pour l’industrialisation des biocarburants de 2ème voire 3ème génération. Cherchez l’erreur …

Renault Trucks B100

Une industrie des biocarburants encore fragile

La Cour des comptes fait l’inventaire des agro-industries françaises. Elle relève que le groupe Avril (Oleo100) a cumulé 133 millions d’euros de pertes entre 2015 et 2018 et envisageait fin 2019 de fermer des sites de transformation d’EMAG (Sète et Montoir-de-Bretagne). Le développement commercial d’Oleo100 a permis dernièrement un redressement de la situation. Pour le groupe sucrier Tereos, la situation est également fluctuante et le groupe a fermé les sites industriels de Bourdon et Toury. L’allemand Süzucker a lui fermé les sites de Eppeville et Cagny. Les biocarburants de 1ère génération représentent un débouché essentiel pour le colza (75% de la production française) et non négligeable pour la betterave (10% de la production). Pour les agriculteurs l’impact sur leur revenu est jugé faible.

Une des préoccupations de la Cour est l’importation de matières premières, tant en terme douaniers qu’environnementaux. Reprenant une conclusion de l’OPESCT[5] elle ajoute « les biocarburants importés émettent probablement beaucoup plus de CO2 que le [gazole] issu d’énergies fossiles » ceci en raison du potentiel changement d’affectation des sols conjugués aux impacts logistiques de ces importations. Si l’huile de palme a été bannie en 2020 des exonérations et incitations fiscales, d’autres importations ont pris le relais comme le canola canadien ou le soja argentin. Ce sujet, très sensible, est d’ailleurs à l’origine de la révision de la Directive EnR2. La Cour déplore également « qu’une partie du débat public sur ce sujet [des gaz à effet de serre] se fonde sur des éléments commandités et publiés par des groupes d’influence, ONG, organisations professionnelles, etc ». S’en tenant aux données retenues en France, le bilan ici apparaît bon : -60% à -80% de gaz à effet de serre pour les biogazoles issus d’oléagineux, -90% pour les biogazoles à base de déchets. Pour les essences c’est moins net mais intéressant malgré tout avec -50% à -70% pour les éthanols dans l’essence et -25% à -50% pour les éthanols incorporés aux ETBE.

Délires administratifs français ou une histoire à TIRUERT

La Cour reprend un de ses sujets favoris : la cacophonie administrative française ! Ainsi elle relève que, la seule enceinte permettant les échanges entre parties prenantes, ne coûtant rien aux contribuables, et donnant satisfaction (le CTUPP ou Comité technique de l’utilisation des produits pétroliers) a été supprimée à la fin de l’année 2019 ! Faute d’échanges techniques, l’élaboration de règlements devient plus délicate. En matière fiscale, la Cour tente d’expliquer le fonctionnement (alambiqué) de la Taxe d’incitation à l’utilisation d’énergie renouvelable dans les transports (TIRUERT) remplaçant la TIRIB en vigueur jusqu’en 2022. Celle-ci vise à prendre en compte l’électricité d’origine renouvelable délivrée dans les stations publiques de recharge, ainsi que la part d’hydrogène produit par électrolyse à partir d’électricité renouvelable. Elle fixe des objectifs de taux d’incorporation de biocarburants (8,4% en valeur énergétique exprimée en PCI pour le gazole en 2022 ; 9.2% pour les essences). Chaque hectolitre manquant à la cible est facturé (104€ par hectolitre pour 2022 pour le gazole et l’essence). Mais là où la France fait fort c’est qu’elle ne reconnaît pas, par exemple, les biocarburants issus de tallol et brai de tallol ou les EP2[6] et amidons résiduels.

Les incongruités de la sinistre TICPE[7] sont étudiées. La cour relève que seul le B100 bénéficie d’une réduction de TICPE, contrairement au B30 par exemple qui est taxé sur la même base de le gazole B7 du commerce. Le fondement et la justification de barèmes de fixation de la TICPE n’ont pu être expliqués par l’administration « ce qui est (…) critiquable s’agissant de données qui auraient pu permettre au Parlement de se prononcer sur des écarts de tarifs de la TICPE à partir de critères de décision rationnels ». Le document évoque une « défiscalisation empirique dont bénéficiaient les biocarburants (…) faute d’une expertise de l’Etat sur les coûts de production ».

D’où la 3ème recommandation de la Cour : fonder les réductions de TICPE sur les données fiables et objectives de surcoûts. Attention, la Cour se place dans une perspective de compétitivité des biocarburants 2de voire 3ème génération face aux carburants fossiles ou de 1ère génération. Ces nouveaux biocarburants ont des surcoûts liés, au moins pour 50%, aux amortissements des investissements ; la ressource « alimentant » les processus de transformation ne représentant que 25% des charges. Elle s’inquiète également de la difficulté à tracer la production des biocarburants, particulièrement pour les produits bénéficiant d’une double imputation (très tentants pour les fraudeurs). Quant aux choix d’investissements pour l’avenir, la Cour suggère que les ministères de la transition écologique (DGEC), des finances (DGE) et de l’agriculture (DGPE) en lien avec le Secrétariat Général pour l’investissement (rattaché aux services du premier ministre) « élaborent conjointement une nouvelle stratégie sur les biocarburants définissant les orientations, un calendrier et les moyens nécessaires ».

Bref, une vraie remise à plat de la politique énergétique qui prévalait jusque-là.

 

Lire dans son intégralité le rapport de la Cour des comptes sur les Biocarburants

[1] EMAG Ester Méthylique d’Acide Gras (FAME en anglais) comme les B8, B30 ou B100 ce sont des biocarburants à partir d’huiles végétales.
[2] L’ETBE ou ethanol est incorporé dans l’E10 et représente l’essentiel du contenu dans le cas des E85 et ED95.
[3] Les biocarburants de 2de génération utilisent la partie ligno-cellulosique des plantes (bagasse, paille, etc). Elle n’entre donc pas en concurrence avec l’alimentation humaine ou animale.
[4] La cour évoque le bio-Jet-A1, en clair, les bio-HVO.
[5] OPESCT Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Techniques.
[6] EP2 ou égouts pauvres issus de deuxième extraction de betterave.
[7] TICPE Taxe Intérieure sur la Consommation de Produits Energétiques, remplaçant la TIPP Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers.

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