PEM

Volvo FH 460 LNG

Rien ne change, et c’est ça qui change tout ! Dans l’univers des « énergies alternatives » il est fréquent de devoir faire de lourds sacrifices à l’exploitation sur l’autel de la fameuse (voire fumeuse) transition écologique. Volvo Trucks France se fait fort de proposer avec les FM et FH à moteur dual-fuel GNL une alternative au gazole transparente pour le conducteur. Voici la seconde Prise En Main (PEM) TRM24 : le Volvo FH 460 LNG testé sur route en Ile-de-France.

Par Jean-Philippe Pastre

Conception d’ensemble 

La carburation dual-fuel est une vieille connaissance en Amérique du Nord. Volvo Trucks, avec l’équipementier Delphi, a relevé le défi de développer une telle solution pour l’Europe et ses sévères normes Euro VI-c. Contrairement aux camions GNV commercialisés par Iveco et Scania reposant sur des cycles à allumage commandé (cycle Otto ou Beau de Rochas), Volvo fait le pari de faire fonctionner son moteur G13C en allumage spontané (cycle Diesel). Comment enflammer du méthane par compression sachant que celui-ci a un pouvoir anti-détonnant particulièrement élevé (indice d’octane compris en 120 et 130) ? L’astuce repose sur la double alimentation gazole et méthane. Le gazole est injecté à l’amorçage de la combustion, le méthane venant ensuite compléter la charge d’énergie. Le secret repose sur un composant stratégique : l’injecteur concentrique développé par Delphi pour Volvo Trucks. Diverses autres adaptations sont faites sur la base du moteur D13 Volvo : échangeurs de chaleur, détendeurs, pompe hydraulique pour prélever le GNL en phase liquide, etc. Autre changement majeur : le réservoir lui-même ! Volvo Trucks propose 3 tailles de réservoirs : 115kg et 155kg, principalement dédiés aux porteurs 6×2, 4×2 et 6×4 Volvo FM et FH plus le réservoir de 205kg de GNL spécifiquement développé pour les tracteurs FM et FH. La bonne nouvelle, qui n’était pas acquise lors du dernier salon Solutrans en 2017, c’est que Volvo Trucks France a obenu en mars 2018 l’homologation suivant la vignette Crit’Air 1 de sa gamme dual-fuel GNL. Cette gamme est homologuée en Europe sous la nomenclature Dual-Fuel type 1A, c’est-à-dire fonctionnant quasi exclusivement au méthane. Un sésame désormais quasiment indispensable pour entrer dans les centre-ville ou stationner à moindre coût.

Moteur

L’avantage des moteurs au GNV, c’est qu’ils reprennent pour l’essentiel l’architecture des moteurs thermiques traditionnels. Ici, la culasse est identique à celle des Volvo D13 bien connus. C’est sur les périphériques et certains composants que se jouent les différences. Pièce maîtresse de la révolution : l’injecteur concentrique permettant l’alimentation quasi-simultanée du gazole et du méthane sous forme gazeuse. La rampe commune est adaptée et un module d’alimentation gaz, un séparateur et des électro-vannes font leur apparition. Les logiciels moteur et boîte de vitesse sont revus. Quelques détails trahissent le mode d’alimentation comme la pompe hydraulique pour le prélèvement du GNL, le détendeur, et le petit réservoir tampon sous 300bars. C’est à cette pression qu’est envoyé le méthane sous forme gazeuse dans les chambres de combustion. Volvo propose son moteur 6 cylindres G13C de 12,8 litres en deux puissances : 420ch et 2100Nm de couple ou 460ch et 2300Nm de couple. La différence vis-à-vis des purs gazole concerne la courbe de couple : sur le 420ch le couple culmine à 1000tr/mn (contre 900tr/mn sur le pur gazole) tandis que sur le 460ch la valeur de couple maximale est atteinte à 1050tr/mn contre 900tr/mn sur la motorisation traditionnelle). Outre la standardisation industrielle (pas de culasse ni de post-traitement spécifique par catalyseur 3-voies), l’autre avantage de la solution à cycle Diesel est le gain en rendement spécifique : ici le moteur gaz peut fonctionner en mélange pauvre. Volvo revendique un gain de rendement de 20 à 25 par rapport aux moteurs à allumage commandé retenus par ses deux principaux rivaux. Le constructeur avance 90 à 95% de la charge moteur assurée par le méthane. Seul inconvénient de la formule : il faut toujours penser à ravitailler en AdBlue et en gazole périodiquement, car étant à allumage par compression et mélange pauvre, ce moteur a besoin de l’intégralité des systèmes de dépollution d’un moteur Diesel Euro VI-c. Au final, le moteur conserve son tempérament vigoureux, et le décalage de la courbe de couple ne se fait pas sentir sur la route. Seul indice trahissant le fonctionnement au méthane : une sollicitation plus longue sur le démarreur.

Transmission

Une seule option est retenue par Volvo Trucks : la fameuse boîte « maison » Volvo I-Shift, ici en configuration 12 rapports et simple embrayage dénommée AT2612F. Contrairement au ressenti lors d’une prise en mains faite au printemps 2018, le roulage de cet automne a confirmé une totale transparence pour le conducteur. Les petits à-coups constatés au printemps dernier ayant ici totalement disparu. Le logiciel de pilotage de la boîte été revu pour tenir compte du « temps de réponse » de l’injection de gaz et des caractéristiques de couple moteur requérant des régimes un peu plus élevées. Les rapports de pont sont identiques aux autres moteurs Volvo D13 à savoir 1/ 2,64 (monté sur le modèle de la prise en mains) et 1/ 2,47. Le choix, gratuit, pour le client entre les deux sera dicté par la charge et le type de parcours. Au final, on retrouve toujours la grande vivacité de la boîte tout en appréciant les dernières évolutions logicielles permettant au camion de ramper en manoeuvres. Une fonction qui peut même se piloter depuis le volant via un « accélérateur à main » virtuel commandé via le programmateur de vitesse. Appréciable.

Liaisons au sol

Cette partie n’appelle aucun commentaire particulier. Sur ce plan, le tracteur routier Volvo FH 460 LNG s’apparente en tout point à son pendant traditionnel. Le modèle de la prise en mains combine ressorts à lames paraboliques à l’avant et suspensions à coussins pneumatiques sur le pont. Toutes les options des autres Volvo FH sont disponibles ici. Le pont arrière est à simple réduction Volvo RSS1344D, le tout chaussé en Michelin X Line Energy de 385/55 R 22,5 à l’avant et 315/70 R 22,5 en monte jumelée arrière. Le comportement sur route n’appelle aucune critique le véhicule s’étant révélé parfaitement prévisible et fidèle aux injonctions du conducteur. Le confort étant à classer parmi les meilleurs tracteurs routiers du marché actuel.

Freinage

Le Volvo FH 460 LNG emporte avec lui toute la panoplie du tracteur routier moderne : ABS, EBS, freins à disques intégraux, répartiteur dynamique de freinage, freinage d’urgence automatique, aide au démarrage en côte. Pour autant, si le frein de service n’appelle aucune remarque particulière, nous ne pouvons que déplorer le choix de Volvo de ne proposer le ralentisseur hydro-dynamique Voith (alias VR3250 chez Volvo) qu’en option. En effet, le frein moteur VEB+ (lui-même en supplément) ne donne pas sur route le même niveau de sûreté qu’un ralentisseur secondaire. Nous ne doutons pas de son efficacité, mais il semble plus adapté aux usages chantiers (très basse vitesses, démultiplications de boîte courtes) ou purement autoroutiers (contrôle de vitesse en descente, sans demande de décélération) plutôt qu’à une utilisation mixte sur route. Volvo argue que le VEB+ offre une puissance de retenue suffisante tout en réduisant la tare et la traînée résiduelle du ralentisseur hydro-dynamique. Argument spécieux lorsque l’on parle de sécurité ! Même en usant des astuces pour rétrograder via le mini-levier de ralentisseur, il faut recourir aux freins de service à l’approche des ronds points. Précisons que nous étions avec un PTRA estimé de 39 900kg (avec l’équipage en cabine). Dans le même registre, un levier de commande de ralentisseur plus long serait appréciable. Dernier grief : l’aide au démarrage en côte est temporisée : un piège redoutable ! La solution consiste dès lors à utiliser le frein de parc électro-pneumatique commandé par la palette au tableau de bord. Il assure la même fonction, avec toute la sécurité requise.

Cabine et carrosserie

Le choix disponible avec la motorisation GNL exclut les Volvo FMX. Le réservoir GNL n’étant pas forcément compatible avec la garde au sol requise pour des engins de chantier ou approche chantier. Autre restriction : les empattement les plus longs, déclarés incompatibles avec le réservoir cryogénique en cas de choc latéral. La crainte étant ici qu’un véhicule puisse s’encastrer entre le réservoir et l’essieu arrière du porteur. Pour la même raison, aucune cabine courte n’est proposée avec le GNL. Trois dimensions de réservoirs GNL sont prévues : 115, 155 et 205kg de gaz liquéfié. C’est cette dernière option qui est proposée sur les grand routiers, pour d’évidentes questions d’autonomie. Les silhouettes proposées sont les 4×2, 6×2 et 6×4 porteurs et tracteurs FM comme FH. Le modèle de la prise en mains était un tracteur FH 4×2 à cabine couchette Globetrotter XL. La finition, tout comme la présentation, figurent parmi les atouts du modèle même s’il faut une certaine accoutumance à l’ergonomie et fonctionnalités de bord. On apprécie la qualité des matériaux, ou l’application de la peinture. Dernier détail pratique : le réservoir GNL est situé côté gauche, celui du gazole côté droit. Sa capacité est de 170 litres. Hélas de quoi encore attirer quelques siphonneurs malveillants. Le réservoir d’AdBlue, également requis pour ce moteur non-conventionnel contient 64 litres de réactif. Cette multiplicité de réservoirs se révèle au tableau de bord avec trois jauges à surveiller ! Sans quoi, c’est le bridage (faute d’AdBlue) ou l’immobilisation assurée (surtout en l’absence de gazole, un mode de « déplacement de secours » étant prévu avec cette énergie).

Confort et tenue de route

L’insonorisation demeure bluffante d’efficacité. Toutefois la qualité de son sera diversement appréciée : les tenants du moteur Diesel seront comblés puisque l’on retrouve la sonorité grave (et pour tout dire virile) des six cylindres en ligne du groupe ; tandis que celles et ceux qui auront goûté aux charmes des camions GNC concurrents à allumage commandé trouveront ce Volvo bruyant. Une affaire de goût plus que de décibels. Pour la tenue de route, on apprécie la fidélité de la direction, le volant cuir optionnel contribuant aussi à l’agrément. N’oublions pas également la fameuse Volvo Dynamic Steering optionnelle, toujours aussi déconcertante au début. Mais cette direction paramétrique à rappel asservi demeure toujours aussi géniale une fois que l’on a pris ses marques. Pour le conducteur, il s’agit de donner un cap, et le camion suit la consigne, en effaçant la quasi-totalité des cahots et des orniérages. Du grand art.

Vie à bord

On serait tenté de pousser le curseur de l’appréciation. Toutefois il faut reconnaître que l’ergonomie de la dernière génération de Volvo FH peut déconcerter. Au conducteur de rentrer dans la logique du camion, un peu comme pour l’utilisation d’un smartphone ou d’un logiciel informatique. Donc une machine à ne pas mettre entre toutes les mains, à moins d’effectuer la formation de mise en mains commercialisée par Volvo. Une option d’ailleurs systématiquement tarifée en France pour d’évidentes questions de sécurité liées à l’usage du GNL. Le méthane liquéfié n’est pas un produit « neutre » : tout contact entre le gaz à -163c° et la peau étant à proscrire. Pour le reste, on apprécie le champ de vision et la qualité de la rétrovision. Même le passager trouve ses aises pour les jambes. S’ils apparaissent minces, les rétroviseurs font un excellent travail. Le choix des teintes et selleries intérieures contribue à une ambiance agréable au quotidien. La hauteur libre dans la cabine Globetrotter XL permet aux gabarits de plus d’1,80 m d’évoluer librement d’un côté à l’autre de l’habitacle. Les coffres latéraux extérieurs prennent toute leur valeur puisqu’il faut emmener avec soi les équipements de protection individuels pour le ravitaillement (gants isothermes cryogéniques, heaume de protection).

Maintenance 

Recours quasi obligatoire au réseau Volvo Trucks ! En effet, pour le moment et jusqu’à nouvel ordre, les modèles LNG de Volvo sont exclusivement commercialisés avec le contrat de service Gold. Volvo Trucks veut bien assumer une part du risque liée à la rupture technologique, mais c’est au prix d’un suivi strict des véhicules circulants dans son réseau. On peut comprendre ce point de vue, même s’il implique un surcoût facial pour le client. Mais c’est un mal pour un bien, puisque cela évite au client final de payer pour d’éventuelles défaillances des composants critiques. De même, il est difficile de donner des intervalles précis, Volvo définissant ceux-ci lors de la commande client, en fonction de l’usage potentiel de la machine. Les contrôles de niveaux usuels sont, par contre, très bien pensés. Volvo Trucks a la bonne idée de prévoir une jauge à huile moteur accessible depuis la calandre avant. Vigilance à propos de la boîte robotisée Volvo I-Shift : afin de prévenir les usures prématurées au niveau de l’embrayage (disque, butées) il convient de se mettre au neutre manuellement. La boîte ne le faisant pas d’elle-même !

Bilan

Au final : la consommation indicative mesurée sur le parcours de 184 km effectué aux confins de l’Ile-de-France a donné une consommation de 23,26 kg/100km auxquels il faut ajouter 2,16 l/100km de gazole et 1,85 l/100 d’AdBlue. A vos calculettes ! Les performance à l’usage sont identiques à celles d’un équivalent à gazole simple. Le surcoût, non négligeable (25 à 30% de plus qu’un équivalent conventionnel) ne peut être compensé que par de forts kilométrages annuels et un tarif du GNL âprement négocié auprès des fournisseurs. A cela il convient d’ajouter les pertes par les évents en cas de non utilisation prolongée (3 jours avec un réservoir plein à 25%, 6 jours avec un réservoir plein à 90%). Reste également l’aléa de la valeur de reprise à terme : le surcoût sera-t-il valorisable après 5 ou 6 ans sur le marché du V.O ? Pour le conducteur, hormis les précautions d’usage impératives lors du remplissage, la mutation est transparente. Il lui suffit juste de penser qu’il a trois jauges à surveiller au lieu de deux ! Un camion qui exige une réflexion préalable sur les missions, les itinéraires (de 550 à 1 000km d’autonomie en fonction des réservoirs), l’exploitation avant investissement. Pour qui « entre dans les cases » d’une utilisation de 52 semaines par an, avec de forts kilométrages, ce véhicule doit être au cœur de la réflexion sachant qu’il est dores-et-déjà, comme tous ses congénères GNV, compatible avec le bio-GNV.

 

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