Tribunes

Iveco fait-il fausse route ?

Par Jean-Philippe Pastre, journaliste et éditorialiste de TRM24

L’Iveco S-Way peut légitimement être perçu comme la énième refonte de l’Iveco EuroStar et du Stralis, une lignée née en 1993. Cela peut-il constituer une riposte valable face aux Volvo FH 4ème génération, aux derniers Scania ou à l’hyper numérisation du dernier Mercedes-Benz Actros ? Iveco fait-il fausse route ?

La présentation de l’Iveco S-Way faite avec faste en juin 2019 au parc des expositions de Madrid (Espagne) devant la presse servait autant à motiver les distributeurs Iveco qu’à conforter, voire rassurer, les clients de la marque. Sous une allure modernisée, on retrouve de nombreux éléments des Stralis et EuroStar précédents : pare-brise, emboutis de face avant, implantation de planche de bord, … cela sans parler de la chaîne cinématique, inchangée par rapport aux derniers Iveco Stralis. Point de caméras de rétrovision, d’aménagement intérieur révolutionnaire, de plancher plat, de nouveaux moteurs, pas même de Cursor 16.

Les équipes Iveco ont dû faire avec que ce CNH Industrial était prêt à investir. CNH Industrial étant lui même placé dans l’orbite de la holding EXOR (représentant les intérêts financiers des héritiers et descendants de la famille Agnelli). D’ailleurs aucun montant d’investissement ne sera communiqué à propos de l’Iveco S-Way. Cela rappelle fâcheusement le sort « peau de chagrin » réservé à Fiat, Lancia ou Chrysler chez FCA (autre compagnie de la holding EXOR). Oui mais…

Mais il y a plusieurs facteurs qui plaident en faveur de l’approche d’Iveco : Tout d’abord une priorité accordée aux investissements dans les méthodes de production, ce qui explique la fin de la production de l’Iveco Daily à Valladolid (Espagne), cette dernière usine se consacrant à l’emboutissage, ferrage et assemblage final des cabines gamme haute. En outre, il y a bel et bien eu remodelage, ne serait-ce que pour passer les tests d’homologation ECE R29-03 relatifs à la protection en cas de choc frontal. Les emboutis de portes sont nouveaux (et non plus issus de l’Iveco Eurocargo de 1991 !). Le travail aérodynamique est réel : calandre plus perméable afin d’admettre un flux d’air plus important pour les échangeurs et radiateurs, déflecteurs subtilement intégrés autour des projecteurs (à la façon des Renaults Trucks T), lèvres prolongées aux extrémités des déflecteurs, tôleries plus jointives, sans compter le pavillon composite redessiné pour la version la plus haute. Certes, cela n’en fait pas un camion inédit. Il suffit de regarder la planche de bord pour constater que celle-ci dérive étroitement du Stralis : même implantation de l’ensemble chauffage climatisation, même instrumentation, et ce n’est pas le bouton « start-stop » en lieu et place de la clef de contact qui abusera le conducteur. Le seul vrai changement sur la planche de bord est côté passager avec l’apparition d’une tablette rétractable. Hélas, elle n’est disponible qu’en option, et n’était pas visible lors de la présentation à la presse. Toutefois, la refonte du pavillon a permis d’accroître le volume des rangements et quelques améliorations apportent davantage d’amplitudes de réglages pour les sièges du conducteur et du passager.

Gagner du temps … pour gagner de l’argent.

D’une certaine manière, Iveco « passe son tour ». Et ce pari, risqué en terme d’attractivité dans un marché hyper concurrentiel, pourrait s’avérer payant si la marque parvient à faire vivre commercialement sa gamme S-Way jusqu’en 2025. Pourquoi ?

A cette échéance, les gabarits européens évolueront afin d’autoriser un léger allongement des cotes hors-tout, afin d’améliorer le profilage des tracteurs routiers maxi-code. Les concurrents (Volvo, Renault Trucks, Scania, et très bientôt MAN) qui ont, ou auront, investi massivement sur de nouvelles générations de cabines vont devoir réadapter celles-ci. Iveco peut tranquillement préparer cette échéance en ayant épargné un cycle d’investissements. En outre, en misant ouvertement sur les motorisations GNV (tant GNC que GNL) Iveco se place favorablement face aux enjeux de la transition énergétique. La marque parie l’an prochain sur un marché européen des de plus de 16t à 9000 unités fonctionnant au GNV. Ce n’est pas un hasard si, lors de la présentation, il y avait parité entre les moteurs Diesel et les version NP (Natural Power) fonctionnant au méthane. En outre, il existe des clients et conducteurs rétifs face au tout digital parfois un brin castrateur. Du numérique, il y en a sur l’Iveco S-Way, via des applications pour conducteurs, l’essentiel du contenu digital étant plutôt dédié aux patrons et directeurs d’exploitation. Avec une chaîne cinématique vive et particulièrement bien accordée entre moteur (Iveco Cursor, toujours et encore) et boîte (ZF TraXon), « à l’ancienne », Iveco peut faire venir à lui les plus traditionnalistes des clients et conducteurs. Cela sera-t-il suffisant pour reprendre les parts de marché perdues en gamme lourde ? Vaste défi pour les équipes commerciales d’Iveco, en France comme en Europe. Pour l’industrie européenne du poids-lourd, face aux appétits orientaux ou extrême-orientaux, il vaudrait mieux que ce pari soit gagnant.

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