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La nécessité urgente de repenser nos capacités logistiques

Logistique transport

La promotion SIE 27 de l’Ecole de Guerre Economique s’est intéressée à la situation du secteur de la logistique et du transport en France dans le monde d’après-Covid. Les faiblesses et candeurs françaises y sont identifiées. Elles pourraient devenir dramatiques en situation de crise.

D’emblée, le lecteur est alerté sur des « vulnérabilités majeures et souligne la nécessité urgente de repenser les capacités logistiques nationales ». Les étudiants de la promotion n°27 de l’Ecole de guerre économique (EGE) partent de 3 constats : la disparition du pavillon français dans le transport routier européen, le déclassement des ports français face à leurs voisins d’Europe du Nord comme du Sud, le vieillissement apparemment inexorable du réseau ferré qui peut hypothéquer tout effort de réindustrialisation lourde ou logistique militaire.

Ce document est issu d’échanges avec des professionnels du secteur, de rapports parlementaires (souvent excellents dans le cas du Sénat, mais consciencieusement oubliés des médias de masse) et de sources ouvertes (presse spécialisée). Christian Harbulot, directeur de l’EGE et du CR451, rappelle le danger qu’il y a à croire que ce sujet relève de la seule Union européenne car « chaque Etat membre défendra ses propres intérêts ». L’exemple de la crise sanitaire liée au Covid a servi de point de départ à la réflexion. Que ce soit pour les masques, les tests ou les vaccins, la logistique a été au cœur du sujet. Elle l’a été plus encore lors de la reprise de l’activité économique.

Croire qu’il s’agit d’un simple sujet « technique » serait, selon l’EGE, une grossière erreur : « Aujourd’hui notre logistique est victime de prédation par des acteurs internationaux comme la Chine, qui souhaitent s’en servir pour développer son économie, et implicitement son influence au sein de l’Europe. Pékin investit dans les ports, les aéroports, les gares et les routes qui déterminent les principaux corridors européens ».  Le « régime Grec » imposé à la suite de la crise de 2009 par l’Union européenne à la Grèce ou à l’Italie, a ici joué un rôle décisif… et destructeur !

De la bureaucratie et de la compétitivité

L’EGE relève qu’en 2005 l’Allemagne avait adopté un plan directeur sur le transport de marchandises et la logistique. Autre exemple cité dans le document : Expeditors aux USA. Le logisticien a créé Onyx Strategic Insight, un « cabinet de conseil en géopolitique internationale. Les données captées autour des hubs logistiques sont traduites en informations utiles pour la diplomatie d’affaires. Il y a bien dans la logistique un outil multidimensionnel de compétitivité et d’intelligence économique ». Et les auteurs de regretter que la France n’ait pas exploité les anciens terminaux portuaires Bolloré Logistics (vendus à MSC en 2022) à de telles fins en Afrique de l’Ouest. Ils poursuivent : « l’absence de vision stratégique (…) engendre une concurrence acharnée et désordonnée. » On voit poindre ici l’exemple du transport routier où les opérateurs français sont accablés de taxes ou de paperasses tout en étant concurrencés par le cabotage sauvage de l’Europe de l’Est ou de la péninsule ibérique.

L’EGE pose la question crûment : « la France a-t-elle abandonné ses routiers ? ». L’étude, citant Benoît Pentinat rattaché au SDES du Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, signale que « seulement 60% du transport routier en France est sous pavillon français ». Ce qui pose, en creux, la question des moyens affectés aux DREAL et aux Douanes sur le terrain.

Le transport maritime et fluvial est aussi analysé, et l’EGE note la perte de compétitivité des ports français. « En 2023, le trafic de conteneurs dans les ports français est cinq fois plus faible que celui des ports de Rotterdam et d’Anvers réunis, et trois fois plus faible que celui des ports allemands ». Le problème ne concerne pas que les mouillages maritimes : l’Allemagne s’équipe d’un immense terminal à conteneurs à Duisbourg sur le Rhin ayant vocation à desservir tout l’hinterland européen. Le ferroviaire n’est pas en meilleure santé, Fret SNCF et SNCF Réseau étant prompts à fermer des lignes et des dessertes. Entre 2019 et 2024, ce sont 2500km fermés ou menacés. Les choix d’investissements de SNCF Réseau impactent le trafic (50% du fret ferroviaire passe sur 12% du réseau). Relevant un fonctionnement en silo et des aléas de financements, l’EGE plaide pour « une planification cohérente » si l’on veut réellement relancer le fret ferroviaire.

Un désintérêt pas partagé ailleurs

L’EGE relève que d’autres pays ont, à-contrario, une vraie vision stratégique de la logistique entendue comme arme de guerre économique globale. L’étude détaille la situation en Allemagne. Si les investisseurs chinois (COSCO à Hambourg) ou saoudiens et quataris (dans l’armateur Hapag Lloyd) existent, ils sont plafonnés ou contrés parfois par des montages public-privé (le Land de Hambourg et Kuhne+Nagel ont ainsi constitué une alliance défensive pour sauver Hapag Lloyd d’une perte de souveraineté). À l’inverse, -et conséquence des privatisations voulues par l’UE à l’issue de la crise de 2009- le port grec du Pirée est devenu un hub central pour les opérations du groupe chinois COSCO. Un élément clef du programme China-Europe Land-Sea Express, projet intermodal chinois reliant la Grèce à la Hongrie. Ce qui explique, soi dit en passant, certains choix stratégiques d’industriels chinois majeurs comme BYD, CATL ou CRRC vers ce dernier. La construction de la ligne ferroviaire Belgrade-Budapest « largement financée par un prêt chinois (à hauteur de 85%) est prévue pour 2025 ». Le lecteur découvrira avec intérêt tout ce que la Chine met en place en Hongrie, entraînant avec ses financements toutes ses entreprises majeures. La conclusion est glaçante et constitue un avertissement clair : « les nouvelles Routes de la soie représentent bien plus qu’un simple projet d’infrastructure : elles incarnent une stratégie ambitieuse et méthodique de la Chine pour étendre son influence économique et géopolitique à l’échelle mondiale » (…) Cette expansion suscite des interrogations légitimes sur la souveraineté économique des pays européens. »

Les auteurs reviennent sur différents documents de prospective et de stratégie réalisés dernièrement en France et s’interrogent sur le fait que ceux-ci « ne traitent pas des enjeux de résilience et de souveraineté. Depuis 2022, les rapports de France Stratégie ne s’intéressent plus à la logistique. De même, les principaux acteurs français, comme la SNCF, ne mentionnent ni le renforcement de a souveraineté du fret, ni la préparation à un scénario de crise dans leurs axes stratégiques.» Qu’adviendrait-il en temps de conflit ?

Espérons également que les prophéties de la conclusion ne se réalisent pas : « Sans un réveil logistique français, les champions internationaux s’empareront de l’ensemble du marché national. Dans un contexte de guerre économique permanente et d’une recrudescence des conflits militaires, l’élaboration d’une stratégie logistique globale est indispensable pour éviter les perturbations dans le fonctionnement du pays et ses conséquences sur la population. » Nous sommes ici bien loin des considérations de bobos métropolitains sur les vélos cargos …

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