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Paquet Mobilité : l’impossible compromis européen sur le social

Le Conseil des ministres européens des transports s’ouvre à Bruxelles dans un climat de tensions et d’incertitudes politiques. Le volet social du Paquet Mobilité défendu par la présidence autrichienne ne fait pas l’unanimité au sein des Etats membres. Temps de conduite et de repos, lutte contre le cabotage systématique, détachement de conducteurs : un grand nombre de questions sont en suspens. Résultat, la fédération européenne des travailleurs du transport (ETF) est vent debout et appelle les salariés du secteur à manifester devant le siège bruxellois du Conseil. A l’instar d’ETF, le bureau bruxellois de la FNTR espère un « no deal » plutôt qu’un mauvais accord politique. Les dés sont jetés entre les Etats membres de l’Alliance du Routier dont la France est membre, les Pays de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) adeptes d’une libéralisation sans foi ni loi, et les Pays périphériques (Espagne, Portugal, Slovénie, Finlande).

Adopter une orientation générale et décrocher un compromis politique qui puisse satisfaire tous les Etats membres : autant dire que l’objectif du conseil des ministres européens des transports relève du miracle. Pourtant, on ne peut pas dire que la présidence autrichienne de l’UE ne se soit pas démenée ces dernières semaines pour entendre les différentes remarques et doléances des délégations des Etats. « Il sera difficile de trouver un accord politique parce que les questions en suspens sont trop nombreuses », assure une source au Conseil de l’UE. D’ailleurs, les onze Etats membres de l’Alliance du Routier (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, France, Grèce, Italie, Luxembourg, Norvège, Suède et Suisse) ont déjà tiré la sonnette d’alarme lors de leur réunion à Bruxelles le 12 novembre. Dans un communiqué commun, ils regrettaient que les bases d’un accord n’aient pas été atteintes par la présidence autrichienne et que des difficultés étaient toujours en discussion :

  • les temps de conduite et de repos ;
  • les modalités d’application concernant les règles du détachement ;
  • la lutte contre le cabotage systématique y compris lors de l’utilisation systématique des segments routiers nationaux dans le cadre du transport combiné ;
  • le retour régulier des conducteurs et des véhicules dans leur Etat membre d’établissement.

Depuis lors, le volet social n’a pas bougé d’un iota. C’est la raison pour laquelle  les syndicats français des salariés du transport, sous l’égide d’ETF, ont souhaité rencontrer comme nous vous l’indiquions dans un article, la ministre française des transports Elisabeth Borne le 22 novembre. Il faut rappeler que l’ex-secrétaire d’Etat chargé des Transports, Alain Vidalies, avait pris l’initiative de constituer l’Alliance du Routier en janvier 2017 pour défendre une concurrence juste et loyale dans le TRM.  « C’est peine perdue, la France et l’Alliance du Routier ne pèsent pas au conseil des ministres » constate Roberto Parrillo, le président de la section transport routier chez ETF.  Au cabinet de la ministre, on reste diplomate. « La France est très mobilisée car d’importantes difficultés demeurent et ne rendent pas l’accord acceptable, précise le cabinet d’Elisabeth Borne. La France portera en particulier deux messages. Le premier sera social car il n’est pas envisageable qu’un accord puisse aboutir à une dégradation des conditions de vie et de travail des chauffeurs routiers, et le second sera celui de la lutte contre la concurrence déloyale. »

Eviter la légalisation du dumping social. Depuis les propositions de la Commission européenne sur le Paquet Mobilité, présentées en mai 2017 par la commissaire chargée des Transports Violeta Bulc ; trois catégories de pays ont dans les faits émergé. L’Alliance du Routier dont la France est à l’initiative. Les pays de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) lesquels prônent une ligne dure en faveur de la libéralisation des flux de marchandises et se positionnent en démocraties « illibérales » pour la Pologne et la Hongrie. Un troisième groupe de pays, plus périphériques (Slovénie, Finlande, Espagne, Portugal),  plus modérés que les membres de Visegrad, mais qui ne souhaitent pas être les dernières roues du carrosse. Exception faite du transport routier britannique en prise avec le Brexit, il faut intégrer cette nouvelle carte géopolitique pour mesurer ce qui se joue.

Lors de son comité exécutif organisé les 29 et 30 novembre à Bruxelles, ETF a dénoncé les propositions autrichiennes qui sont sur la table des négociations. « Le Parlement européen a rejeté à deux reprises les propositions du Paquet Mobilité parce que les eurodéputés ont su écouter les problèmes des salariés, insiste Roberto Parrillo. Nous avons toujours été constructifs et ouverts à un compromis décent mais nous ne pouvons accepter un accord qui tend à réduire massivement la qualité de vie des conducteurs routiers, légalise le dumping social et met en péril les usagers de la route. Les propositions sur la table n’ont jamais été aussi indignes, et nous devons dire STOP. Nous préférons assister à l’échec de la négociation au Conseil plutôt qu’au vote d’un accord dangereux. »

Casse-tête sur le cabotage. En matière de cabotage,  la présidence autrichienne confirme la règle actuelle d’un maximum  de 3 opérations dans un délai de sept jours tout en assurant un meilleur suivi pour lutter contre le cabotage illégal grâce au chronotachygraphe et aux documents de transport sur support papier ou électronique à présenter lors des contrôles sur route. Pour lutter contre les abus du cabotage systématique, la proposition autrichienne introduit une période transitoire (dite de carence) de sept jours à compter du dernier transport de cabotage. Le hic c’est que cette carence de sept jours est encore en suspens car jugée disproportionnée par de nombreux Etats membres. Certains ne sont pas en mesure d’accepter une telle période ou seulement une période équivalant au repos hebdomadaire. D’autres estiment qu’une période de sept jours est insuffisante. Les dernières tractations font état d’une période de carence entre 2 et 5 jours. « Ce qui nous paraît acceptable », note Isabelle Maître,  responsable du bureau de la FNTR à Bruxelles. Certaines délégations sont favorables au retour du véhicule vers l’Etat membre d’établissement avant le début de toute nouvelle opération de cabotage après une opération de transport international. Certains Etats membres jugent nécessaires d’instaurer une procédure de sauvegarde pour éviter que la libre prestation de services de transport combiné ne soit détournée en opérations de cabotage en continu.

Ligne rouge sur le temps de conduite et de repos. La Commission européenne a souhaité introduire plus de souplesse dans l’utilisation des temps de repos hebdomadaire pour que les conducteurs puissent retourner régulièrement à leur lieu de résidence. Ce qui implique d’obliger les transporteurs à  prévoir un lieu d’hébergement adapté et payé. Et d’imposer aux employeurs l’obligation d’enregistrer le passage des frontières dans le chronotachygraphe afin de faciliter les contrôles. Le repos hebdomadaire normal du conducteur routier doit être de 45 heures au bout de deux semaines de conduite dans un lieu approprié payé par l’employeur, ce qui signifie l’interdiction de dormir dans la cabine. La présidence autrichienne précise toutefois que le repos hebdomadaire normal peut être exceptionnellement pris à bord du véhicule si celui-ci est stationné dans un espace doté d’installations spécifiques (douches, sanitaires). Fait marquant, le Coreper (le comité des représentants permanents des Etats) a demandé le 28 novembre à la présidence autrichienne d’obliger  les employeurs à organiser le retour régulier des conducteurs à leur domicile. Une question reste toutefois en suspens sur ce retour régulier. Les Etats membres ont des vues divergentes sur la fréquence, allant de toutes les deux semaines à huit semaines.

Détachement : la complexité du transport bilatéral. Si une opération de transport est organisée de telle manière que le lien entre le travail du conducteur et l’Etat membre d’établissement reste intact, le conducteur devrait être exclu des règles sur le détachement. Fait marquant, les règles du détachement s’appliquent aux opérations de cabotage mais non aux opérations de transit. Dans la proposition autrichienne, la complexité demeure pour les opérations de transport bilatéral qui devraient en théorie être exclues du détachement. Exemple : une opération de transport bilatéral sur la base d’un contrat de transport, de l’Etat membre d’établissement (Allemagne) ou les marchandises sont chargées vers un autre Etat membre (Roumanie) ou un pays tiers (Hongrie) ou les marchandises sont déchargées. Si l’opération de transport bilatéral est suivie par le trajet retour vers l’Etat membre d’établissement (Allemagne), le conducteur devrait être également exclu des règles sur le détachement pour ce trajet.

A noter que si d’autres Etats membres sont traversés au cours de ce trajet vers l’Allemagne, au maximum deux activités supplémentaires de chargement /déchargement sont autorisées sans relever du régime de détachement. En réalité, les Etats membres acceptent le principe des opérations de transport bilatéral mais leurs avis divergent  sur la notion de « bilatéral » : le transport doit-il commencer dans l’Etat membre d’établissement et la dérogation ne doit-elle pas s’appliquer au trajet retour sous certaines conditions ?

Autre point en suspens, la date à laquelle les règles spéciales du détachement doivent s’appliquer. Certains Etats militent en faveur d’une transition graduelle et misent sur la deuxième version des chronotachygraphes intelligents à l’horizon 2022. D’autres sont impatients et souhaitent une entrée en vigueur immédiate des règles du détachement. Seule certitude, la France et l’Allemagne sont unies contre la proposition de la présidence autrichienne sur les règles du détachement. «En définitive, mieux vaudrait un « no deal » qu’un mauvais accord, résume Isabelle Maître.  Il serait judicieux de reprendre les propositions relatives au volet social du Paquet Mobilité après les élections européennes de mai 2019 afin d’entamer de nouvelles négociations avec la nouvelle Commission et le nouveau Parlement élu. Cela permettrait de remettre la question des contrôles des flux au cœur du débat. »

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