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PEM TRM24 : nous avons conduit le Renault V.I AE 500 Magnum

Un camion d’architecte

Trm24.fr vous offre en cette fin d’année une prise en mains un peu différente. Afin de quitter cette ambiance morose, nous avons allons redécouvrir un véhicule qui fut en son temps une révolution, source de polémiques et de discussions sans fin entre routiers. Mais ce fut, quoi qu’on en dise, un inspirateur pour les autres constructeurs qui allaient présenter à leur tour des cabines hautes à plancher plat. Alors, presque 34 ans après sa présentation, que reste-t-il au Renault AE Magnum des origines ? Le jury du Truck of the Year avait-il vu juste pour l’année 1991 ? Vous le saurez en lisant ce qui suit … Pas besoin d’attacher votre ceinture, il n’y en avait pas en France à l’époque.

pastre@trm24.fr

Le programme « ligne 11 » qui allait devenir l’AE a duré formellement 7 années, de 1983 à 1990. Certes, initialement, il aurait dû être lancé en 1989 mais comme le rappelle Raoul Chabot dans un document personnel, il a subi un décalage de 18 mois. Bon, dans le contexte, ce résultat n’est pas si mal, surtout pour un projet aussi radical. « Au grand désespoir de la direction des études, il fallut se couper un bras en se contentant d’une version de démarrage moins futuriste » précise Raoul Chabot. On retrouve donc une boîte manuelle R.V.I, à savoir la B18 fabriquée à l’usine de boîtes de vitesses sise à Andrézieux-Bouthéon (Loire)[1]. La suspension est également très conventionnelle puisque purement mécanique avec essieux rigides et ressorts à lames sur notre véhicule d’essai : exit les combinés ressorts-amortisseurs hydro-pneumatiques étudiés sur le projet R.V.I Virages VE20.

Idée singulière, héritée des camions américains : la quasi-absence de porte-à-faux avant. L’essieu directeur agissant en cas d’accident frontal avec une automobile comme une barre anti-encastrement. C’était basique, mais efficace. Cette disposition allait conditionner la montée « en locomotive » si caractéristique des AE et Magnum.

Mais s’il n’y avait que cela … Traditionnellement, la cabine basculante coiffe le moteur comme la selle sur le dos d’un cheval. Ici, le travail des ingénieurs a porté sur la séparation complète des fonctions entre la plateforme motrice et l’espace de conduite. Loin d’être une lubie de styliste, c’est le résultat de plus de 10 ans de tests et d’études (les premiers avant-projets remontent à 1977) qui aboutiront aux camions dits « ligne 11 » que les lyonnais verront circuler intensivement à la toute fin des années 1980 quasiment dans leur définition finale dans des teintes typiquement militaires. L’AE Magnum doit également beaucoup à deux programmes de recherches cofinancées par un organisme d’Etat de l’époque : l’ANVAR. Il s’agit des démonstrateurs et véhicules laboratoires VIRAGES[2] VE10 et VE20. Si la physionomie du futur AE commence à bien se deviner avec VE10 révélé en 1985, en particulier l’accès à l’espace de vie et de travail, VE20 annoncé en 1988 et présenté au grand public comme concept au Salon de Paris 1996 pour animer le stand Renault V.I, va davantage se concentrer sur les évolutions dans la chaîne cinématique. Hélas, nombre de ces développements ne verront jamais le jour, encore moins le fameux moteur 14 litres de nouvelle génération appelé Atlantis codéveloppé entre Mack et Renault V.I qui sera gelé (puis détruit). Vae victis… Cette cabine appelée Intégral, et sa suspension 4 points pneumatique en série, a des répercussions que nous détaillerons au chapitre confort. Autre originalité : le recours massif aux matériaux composites SMC moulés à chaud pour les ouvrants et les panneaux de cabine, une première pour Renault V.I. Côté freinage, Renault V.I adopte ce qu’il sait faire : à savoir l’Air Disc sur l’essieu directeur qui fut introduit commercialement en 1988 sur le R420. La marque fut pionnière pour l’adoption du frein à disques en poids-lourds. Le freinage à disque intégral apparaissant en 1996 avec le Mercedes-Benz Actros 1èregénération.

Pour les motorisations, rien de bien original : un moteur 6 cylindres en ligne Renault V.I MIDR 06.35.40 (héritage Berliet) d’une puissance maxi de 275kW (374ch) à 1900 tr/mn pour un couple maxi de 1650Nm (168mkg) à 1200tr/mn (suivant la Directive CEE 88/195). Ce même moteur équipe les véhicules des gammes Renault V.I R et C dans des réglages de 350 à 380ch. Les caractéristiques générales de ce moteur suralimenté avec échangeur de chaleur pour le circuit de suralimentation sont bien connues. On notera toutefois qu’il est doté sur l’AE d’une filtration centrifuge, avec des filtres d’une capacité de 15 microns, autorisant un espacement des vidanges de 40 000km en utilisant les huiles préconisées.

En haut-de-gamme, ce n’est rien de moins qu’un V8, et pas n’importe lequel : un V8 Mack EE9 de 16 360cm3 avec un taux de compression de 17/1 doté de 4 soupapes par cylindre. C’est celui que nous détaillerons ici. Commercialisé à partir de 1978 à la puissance de 450ch, au terme de 150 000 heures d’essai sur route, le moteur Mack EE9 est utilisé depuis 5 ans à la puissance de 500ch. Aux Etats-Unis et en France, des moteurs Mack EE9 développant de 700 à 1000ch ont été montés dans des chars. C’est dire, si ce moteur dispose à 500ch, d’une très importante marge de sécurité en fiabilité et longévité. C’est le P-DG du groupe Renault, Raymond Lévy, qui imposa à ses équipes le plan présenté le 31 mai 1991 par Volvo à Göteborg visant à établir les « synergies » de groupes. Il signait l’arrêt du programme de moteur Atlantis 14 litres Renault V.I/Mack alors en développement. La vente de Renault V.I à Volvo AB, manquée une première fois en 1993, allait finalement se réaliser en 2000 sous l’ère de Louis Schweitzer.

MOTEUR EE9 503ch (Mai 1990/RENAULT TRUCKS)

Moteur

Un bon gros V8 américain Mack EE9 de 16 360cm3 suralimenté avec un turbo-compresseur unique à soupape de décharge, avec 4 soupapes par cylindre, sans prothèse rectale d’aucune sorte (les premiers exemplaires sont encore Euro 0) ça respire et ça « envoie du bois ». Les caractéristiques générales du moteur Mack EE9 sont les suivantes : 8 cylindres en V à 90° ; alésage 137 mm x course 140 mm ; cylindrée 16.4 litres ; taux de compression 17/1 ; 4 soupapes par cylindre ; 4 culasses doubles identiques ; suralimentation intercooler. Mais cela rejette aussi de bonnes quantités de suies lors de remises de gaz. Côté puissance, les 503ch à 2100tr/mn de l’époque font bonne figure comparés aux camions d’aujourd’hui, mais si l’on se souvient qu’il fut par deux fois Champion d’Europe en termes de puissance moteur, on mesure d’un coup le temps qui passe. C’est d’ailleurs avec les dernières évolutions de ce V8 Mack (série Magnum Intégral) que le modèle va culminer et prendre le titre une dernière fois avec 560ch. Avec les 6 cylindres en ligne Mack puis Volvo à partir de 2005, on rentre doucement dans le rang. Les moteurs Euro VI actuels sont très, très forts en couple, nos prises en mains récentes l’ont confirmé, mais ils n’ont pas le caractère « vivant » de cet ancêtre qui répond instantanément à la moindre sollicitation de l’accélérateur. C’est son allégresse et ce tempérament qui parviennent à faire oublier, précisément sa relative faiblesse de couple moteur (2000Nm à 1300tr/mn). Cette allégresse tient peut-être à ses culasses à 4 soupapes par cylindre. Avec, en prime une « bande son » qui vous dispense de toute écoute de la radio. Il faut dire qu’il a bénéficié peu de temps avant la prise en mains d’un réglage des culbuteurs ! Le bougre tourne « rond » et ne demande qu’à prendre des tours. Ce n’est pas la syncope d’un V8 Scania, c’est plus doux et régulier, mais non moins suggestif. La vivacité du moteur impose que l’on garde à l’esprit qu’il y a ici aucun ESP contrôle de trajectoire ni ASR anti-patinage pour tempérer vos ardeurs.

Ce moteur aurait dû, dans les plans initiaux de Renault V.I et Mack, être remplacé par un autre bloc de 14 litres qui était en cours de développement lors du lancement commercial de l’AE. C’est le fameux moteur Atlantis qui allait être tristement cafuté des années plus tard sans avoir pu trouver la paix dans les allées du conservatoire de la Fondation M.Berliet. De profundis.

Transmission

Les boîtes de vitesses Renault V.I qui équipent les AE sont du type B 18 à 18 rapports dont 16 synchronisés et deux extra-lentes. Il s’agit donc d’organes qui ont largement fait leurs preuves, tant sur les véhicules routiers (Gammes G et R) que sur des véhicules chantiers (gamme C).

Ces boîtes sont équipées de nouveaux synchros à billes qui suppriment les refus de passage, réduisent l’effort sur le levier et augmentent la précision. Bon, avec le recul du temps, cela date quand même passablement, l’engagement, notamment à froid étant parfois très « accrocheur » sur les 4 premiers rapports. Une fois l’huile de boîte à température, tout rentre dans l’ordre.

La commande est équipée du dispositif de sélection Renault Range R qui repose sur le principe du chevauchement des couloirs de passage entre les étages lents et rapides. Ce passage est assuré par un vérin pneumatique actionné par la translation manuelle du levier.

Le positionnement du levier de vitesses et son inclinaison vers l’avant amènent le conducteur à effectuer les manœuvres sans se déboîter l’épaule. Un effort louable en terme d’ergonomie.

La boîte B 18 équipant la version 500ch dont le couple dépasse 200mkg bénéficie de deux évolutions : une rectification des dentures des engrenages ; une augmentation du diamètre de l’arbre de sortie.

L’embrayage des véhicules de la gamme AE est monodisque, tiré, de type 430 DTP 31 000. La surface de friction est de 1976cm2. Le moyeu du disque, traité au nickel pour faciliter le coulissement est associé à un système d’amortissement à grand débattement, ce qui améliore le démarrage et assure une meilleure filtration des vibrations et une plus grande progressivité. Le rattrapage de jeu est automatique. La commande est hydraulique à assistance pneumatique.

La boîte est assez typique de l’époque : un peu lente, des débattements très grands mais une commande bien assistée pneumatiquement. Un rappel au tableau de bord est présent via l’ordinateur de bord. Assurément utile à pleine charge ou en montagne. Il faut bien décomposer les mouvements et prendre le temps de débrayer bien à fond avec l’embrayage. Celui-ci se révèle précis et informatif. Mais paraîtra forcément anachronique pour les plus jeunes. La démultiplication finale apparaît incroyablement courte car à la vitesse maximale autorisée de 90km/h en 8ème« grande » on tutoie les… 1600 tr/mn ! C’est certainement une part de l’explication des consommations de l’engin. Juste pour situer l’écart : le moteur Iveco XC13 des gammes chantiers T-Way et X-Way modèle 2024 « envoie » tout le couple dès… 750tr/mn, sans artifice du genre Turbocompound ! Autre temps… On comprend pourquoi les anciens conducteurs ont du mal à croire que les moteurs actuels puissent supporter des régimes aussi bas à pleine charge sur autoroutes. Et pourtant … Dans tous les cas l’étagement donne satisfaction. Les véhicules de la gamme AE à un essieu moteur sont équipés du pont Renault V.I 1345 dont l’application en série remonte au dernier trimestre 1988. Il s’agit donc là encore d’un composant de la chaîne cinématique longuement testé en exploitation. Le choix de la technique des ponts à double réduction constituait à l’époque, selon R.V.I, la meilleure réponse en terme de fiabilité. L’effort de traction procuré par le couple moteur, est réparti entre le couple conique et les réducteurs dans les moyeux.

Le pont P1345 dispose de réducteurs de rapport 2.26 constitués de trains épicycloïdaux à pignons coniques avec des satellites tournant sur des axes inclinés de 8°38. Ces réducteurs sont susceptibles d’absorber des couples très élevés et l’ensemble, mécanique centrale et réducteur dans les roues, offre, selon R.V.I, une très grande marge de sécurité et une excellente garde au sol.

D’autre part, le pont P1345 était à l’époque l’un des ponts les plus légers puisqu’il affiche de l’ordre de 100kg de moins que la plupart des ponts concurrents. Il peut être équipé intégralement de roues en alliage léger.

Le tracteur 6×4 LSW à monte simple comporte un tandem de pont PMR 1540, à simple réduction. Côté couples de pont le client avait le choix : 16×37/ 17×37 /19×37 / 17×35.

Suspension airtronic (Mai 1990/RENAULT TRUCKS)

Liaisons au sol

 

Renault Véhicules Industriels, héritier de Berliet qui introduisit en grande série la suspension pneumatique intégrale sur le Stradair en 1965, aurait pu mettre une suspension pneumatique sur son révolutionnaire AE. En fait, cette suspension appelée Airtronic avec régulation électronique sur le pont arrière était une option proposée sur les AE tracteurs et porteurs 4×2 et 6×2. Elle est absente sur le modèle de notre prise en mains. Pour un ancêtre, ce mal est plutôt un bien qui simplifie la maintenance et réduira potentiellement les coûts d’entretien ou de réparation. Mais la suspension mécanique rend forcément encore plus fastidieuses les opérations d’attelage et de dételage. Les suspensions sont constituées par des ressorts paraboliques comprenant 2 lames à l’avant d’épaisseur différente selon qu’elles équipent un essieu de capacité 6.7t ou 7.5t. Elles ont 3 lames à l’arrière sauf dans le cas du tracteur 6×4 LSW qui n’en comprend que deux.

Les articulations des ressorts sont d’une conception inédite réduisant les besoins d’entretien grâce à des canaux de graissage haute étanchéité qui protègent les axes de la corrosion.

À l’avant comme à l’arrière, la suspension comporte deux amortisseurs et une barre stabilisatrice, montée en avant du pont sur la suspension arrière.

Détail intéressant : le démonstrateur VIRAGES VE10 bénéficiait de pneumatiques Michelin de 315/80R22.5 en monte simple sur toutes les positions ; une dimension courante aujourd’hui qui ne l’était évidemment pas en 1985 année de présentation du concept. C’est également un legs que l’on retrouve sur le Renault AE 500, mais ici avec un classique jumelage arrière. Notez que les châssis, essieux et système de freinage sont homologués pour 44 tonnes, une valeur qui n’était pas (encore) la norme en France à l’époque. Belle anticipation des services de Renault V.I qui contribue, là encore, à la modernité de l’engin.

Les essieux de la gamme AE sont communs avec ceux qui équipent les R420 et R380. Leur épure spécifique vise à améliorer la tenue de cap et la précision au volant. Dans les faits cela se vérifie amplement et aucun phénomène de guidonnage n’est à déplorer, l’ensemble se comportant avec une belle stabilité.  Deux capacités d’essieux étaient offertes : 6.7 tonnes en tracteur (E 61 AC) ; 7.5 tonnes en tracteur (E 81 AC) et en porteur (E 81 EC). Les différences entre E6 et E8 résident essentiellement dans le corps même de l’essieu, les extrémités (moyeux, roulements, etc) étant rigoureusement identiques. Les essieux comportent des roulements mono-bloc précontraints qui, montés en pré-charge, ne se démontent plus. Ils permettent donc théoriquement une grande longévité.

Le boîtier de direction est de type ZF 8098, à rapport de démultiplication variable. Le volant de petite dimension est inspiré des autobus Renault R312 et autocars FR1. À noter que le réservoir de servo-direction est doté d’un capteur de niveau électrique avec témoin au tableau de bord.

Hélas, les deux jours de roulage l’assistance avait décidé de rendre l’âme. Son propriétaire a cherché un peu partout, jusqu’en Pologne, une pompe d’origine Vickers. Mais cette pièce semble désormais introuvable en pièce d’origine. Il va falloir trouver une adaptation à partir d’une pompe du même équipementier trouvée aux USA. Une première prise de contact quelques jours avant le grand voyage nous avait inquiété, l’assistance étant du genre « à un coup » : on en profitait lors du braquage, mais le contrebraquage devenait soudainement très dur. De quoi raviver des souvenirs de Saviem S53 dans les montagnes d’Ardèche ou de Citroën CX à direction Diravi après démarrage dans un parking souterrain. On en rigole après coup, mais sur le moment c’est plutôt la soupe à la grimace. On a non pas une direction assistée mais une direction à assistant. Charme des véhicules anciens …

Freins à disque à commande pneumatique (Mai 1990/RENAULT TRUCKS)

Freinage

Excellent résultat fonctionnel malgré une absence quasi-totale d’aides électroniques. L’architecture technique adoptée, pour un véhicule de 33 ans est tout de même assez moderne puisque l’on compte des freins à disques ventilés à l’avant de 440 mm à étrier flottant et rattrapage automatique d’usure. Un dispositif encore rare à l’époque. Renault V.I en fut le pionner en 1988 avec l’introduction du Air Disc sur les Renault R420 à moteur V8 de 14.88 l (ex Berliet). Le pont moteur est équipé de freins à tambours à cames, d’un diamètre de 414 mm, à rattrapage de jeu automatique, qui sont communs aux véhicules de gamme R. Même type de freins sur le tandem de la semi-remorque d’origine Jean Libner. Pourtant on aurait pu craindre le pire ici puisque celle-ci n’est montée qu’avec des roues de 17.5 pouces de diamètre. Bien que dépourvu de tout pilotage électronique et seulement doté d’un dispositif anti-enrayage ABS, la progressivité et la puissance de freinage se sont révélées absolument au-dessus de tout soupçon et tout à fait dignes de réalisations contemporaines. Certes, l’effort à fournir est un peu plus élevé qu’avec les camions actuels mais il n’y a pas à s’en plaindre dans les faits. Les conditions pluvieuses lors du roulage furent pourtant sans concession. Le modèle était doté d’un ralentisseur secondaire Telma électro-magnétique, mais l’appareil doit faire l’objet d’une remise en état. Les contacts chez Telma ont d’ailleurs permis de remonter aux équivalences de composants ce qui devrait faciliter sa restauration chez un des spécialistes de la marque (les établissements Cornut en Haute-Loire). Un volet de frein moteur sur échappement complète le dispositif. Grâce à la cylindrée du plantureux V8, il se révèle assez efficient lorsque l’on circule à charges faibles à moyennes (l’ensemble pesait aux environs de 28 t de tare effective lors de la prise en mains). Seul piège, source récurrente de gags aux péages : on actionne trop facilement la commande du volet de frein moteur avec le talon du pied gauche ce qui est la procédure pour éteindre le moteur une fois au ralenti. Avec un Telma fonctionnel, aucun doute, le véhicule est tout à fait en mesure de prendre la route même sur les parcours exigeants. Encore un domaine où l’AE 500 Magnum ne paraît pas son âge.

Structure cabine “INTÉGRALE” (Mai 1990/RENAULT TRUCKS)

Cabine et carrosserie

Encore un sujet polémique : pour ou contre la montée « façon locomotive » ? Objectivement cela a quelques avantages … et autant d’inconvénients. Côtés avantages, cela impose l’usage de 3 points d’appui à la montée comme à la descente. La hauteur de cabine étant telle que, de toutes façons, vous êtes définitivement dissuadé de toute velléité de saut. Donc, dans notre époque pétrie de « nudges[3] » en tous genres, on peut affirmer que l’AE Magnum fut un pionnier des bonnes pratiques. Autre atout, le décalage que cela implique permet de se glisser, tant à la montée qu’à la descente, sans avoir à ouvrir la porte en grand. Pratique lorsque quelqu’un vous a collé sur un parking. Dernier argument : l’aménagement retenu permet de rejoindre la plateforme en dos cabine sans mettre pied à terre.

À son désavantage, cela rend l’usage des rampes en aluminium extérieures potentiellement très désagréable en hiver. Il y a mieux au petit matin avant le café que se coller les mains aux barres gelées durant la nuit. On ne vous parle pas de la saleté que cela ne manquera pas de vous laisser après un long roulage. Bref, le débat demeure, et demeurera. Dans certains projets Virages (notamment le VE10) un emmarchement et accès protégé par la porte avait été envisagé. Les panneaux en composite ont plutôt bien vieilli, mais ils imposent d’accompagner ou de claquer franchement la porte jusqu’à son verrouillage du fait du poids relativement réduit de celle-ci. La face avant de l’AE est emblématique par la disposition verticale, et très haute, de son éclairage. Ce « détail » qui singularise la proposition de style de Marcello Gandini par rapport à celle du style avancé de Renault à l’époque piloté par Robert Opron, est bien plus qu’un geste gratuit : cela confère une efficacité redoutable aux feux de route, qui, du fait de leur position surélevée ont une portée nettement accrue. On a pu le vérifier nuitamment cet automne : ça éclaire bien, loin, et de façon très homogène. Le tout avec de simples projecteurs halogènes ! Pas besoin de rampe de phares, ni d’activer l’alimentation des longue-portée placés à côté des projecteurs additionnels anti-brouillard (option d’époque, de série sur les Magnum).

Détail piquant : les déflecteurs de VIRAGES VE10 sont repris, quasiment à l’identique sur les ensembles tracteurs-semi à carénage intégral aujourd’hui ! Ils sont très proches des carénages des AE Magnum tracteurs (dont le modèle essayé). La semi-remorque Jean Libner est une ancienne semi d’écurie de courses automobiles avec un petit espace privatif à l’avant et deux ponts permettant l’emporte de 4 à 5 voitures le tout complété par un hayon élévateur.

Deux empattements sont proposés en version tracteur et huit en version porteur. De plus, pour cette dernière, la possibilité est offerte de modifier l’empattement de certains véhicules sans perçage des longeront (empattement glissant).

Ainsi, en 4×2 on pourra passer de l’empattement 5705 à l’empattement 5375 ;  de l’empattement 6365 à l’empattement 6035

Et en 6×2 de l’empattement 5705 à l’empattement 5375 ; de l’empattement 4715 à l’empattement 4315. Pour les réservoirs, seuls les tracteurs pouvaient avoir les modèles en aluminium en option.

Confort et tenue de route

L’ensemble s’est révélé très stable et docile malgré l’essieu arrière tandem en 17.5 pouces sur la semi-remorque. Là encore, une belle surprise côté comportement dynamique. Le fameux effet « mal de mer » critiqué des AE ne s’est pas manifesté ici. Il n’y a que deux explications possibles à cela : soit on s’est habitué aux suspensions souples des cabines contemporaines ; soit notre conduite très prudente dans les approches de courbes et de ronds-points a limité les accélérations latérales. Du coup, on a pu goûter au confort de la suspension pneumatique 4 points de l’AE. Un équipement commun à l’époque à toute la gamme. Aujourd’hui, chez certains constructeurs, ce type de configuration se paye toujours en option, même sur leurs camions grand-routiers ! Le confort a été magnifié par… la qualité de l’insonorisation. Dans le dossier de presse de lancement, Renault V.I insistait sur les efforts sur ce chapitre, bien aidés par la séparation des espaces « techniques » et « vie ». Force est de constater que ce n’était pas du flan, même 33 ans après, le modèle surprend par la qualité de son insonorisation. Tout au plus entend-t-on les culbuteurs du V8 et le chuintement du turbo-compresseur lorsque l’on est sous charge moteur. Mais c’est à des volumes de décibels incroyablement faibles. Bien que mécanique, la suspension de châssis nous a préservé des ruades que les chaussées inégales du début de parcours laissaient craindre. Les sièges, d’époque et restaurés par les selliers et mécaniciens de l’actuel propriétaire, sont très confortables ; Mais attention : le siège passager pneumatique appelé Commandair, réglable et doté d’accoudoirs était une exclusivité de l’AE Magnum, et qui plus est, en option ! Les coques et réglages de sièges évoquent le futurisme des années 1980. Tout une époque. Le véhicule était doté de l’air conditionné (option d’époque), tous les modèles disposaient par contre d’un chauffage régulé appelé E.T.M. Bon, l’électricité a, avec le temps, hérité des Renault 25 de l’époque ou des fantaisies italiennes, avec quelques faux contacts qui ont interrompu ou rallumé à leur guise la soufflerie de ventilation. Gênant par temps de pluie. Le chauffage additionnel à air chaud, en série sur la finition Magnum d’origine Eberspächer devra être révisé avant d’être remis en service. Son intégration apparaît soignée sous la couchette inférieure. En option on pouvait avoir un chauffage via le circuit de refroidissement, idéal pour les pays très froids.

La position du plancher extrêmement haute surprend, mais elle surprend aussi depuis le poste de conduite. Avec l’AE on domine littéralement la route.

Vie à bord

 

Je vois les fanatiques du Magnum s’étrangler : quoi ? Leur icône aussi mal classée ? En fait, c’est dû aux plastiques intérieurs. Franchement tout justes bons à habiller une Renault Supercinq C de 1984 (et encore, en étant gentil) ! Le souci c’est que nous sommes ici en présence d’un camion grand routier de 1991, haut-de-gamme de la marque qui plus est. Dans le même temps, Renault V.I lançait l’autocar FR1 GTX. Un modèle bien mieux fini que le Renault AE contemporain. La remise à niveau allait arriver en 1996 avec le Renault Magnum E-Tech Integral, quitte à renoncer à la si originale planche de bord piano. Malgré ses défauts de matériaux, elle fait la personnalité -et le charme un peu baroque- des premiers exemplaires. Notez sur les AE Magnum de 500ch la présence en série d’un ordinateur de bord qui indique : la vitesse moyenne depuis le départ, le kilométrage partiel, le temps de fonctionnement moteur, l’autonomie restante, la tension de la batterie, la température extérieure, le rapport de boîte de vitesses engagé, il comporte en outre une alerte de vitesse excessive du véhicule, une alerte de surrégime moteur, une alerte de surtension batterie. Fait étonnant, cet appareil fonctionne encore aujourd’hui !

Alors, oui, bien sûr, il y a cette liberté de circulation à bord, si pratique. Cette fameuse planche de bord en encorbellement a le mérite de libérer le plancher de façon incroyable. Sur ce plan il demeure d’une modernité stupéfiante et est toujours aussi déconcertant. C’est l’opposé parfait de l’Iveco EuroTech qui apparaît en 1991 avec son imposant meuble de chauffage tourné vers le conducteur. Clairement, l’AE laissait beaucoup de places aux jambes et aux genoux pour son conducteur. Tous les AE et Magnum auront le repose pied en haut de planche de bord biseauté côté passager permettant d’allonger et de reposer les jambes. Il faudra attendre 1996 et la série Magnum E-Tech (ou Integral) pour voir arriver l’autre accessoire qui allait valoriser ce plancher plat : le siège passager pivotant. Mais on perdait le bénéfice de la planche de bord dégageant l’espace inférieur. Qualité ou liberté il faut choisir. Et puis il y a un manque d’éclairages à bord. Pourtant à l’époque ce n’était pas si mal. Mais on fait nettement mieux depuis. Sur ce plan il a beaucoup vieilli. La trappe de toit vitré était en option. Les fameuses rampes « locomotives » en aluminium pour la montée et la descente pourront, au gré de la météo extérieure, être source de (réelle) satisfaction ou de (très vif) désagrément. Sur ce chapitre, est aussi clivant qu’une Citroën DS19 !

Maintenance

Bon tout dépend de l’époque où l’on se situe : 1991 ou 2023 ? Evidemment, aujourd’hui, certaines pièces viennent à manquer, tout particulièrement côté cabine pour les modèles de la première série comme ici. Les planches de bord et plastiques intérieurs vieillissaient mal et trouver un modèle comme celui-ci tient du coup de chance. C’est, comme on dit « une belle base de restauration ». Il y a du travail, mais l’essentiel est sain et il n’y a pas de pièces critiques manquantes. Les espaces ont été distribués de sorte que les opérations de maintenance courantes soient simplifiées au maximum. Ainsi sont à portée de main : derrière le volet latéral gauche : le pré-filtre et les filtres à gazole, la pompe d’amorçage gazole. Dans le coin avant gauche : le réservoir de liquide d’embrayage, le vase d’expansion [du liquide de refroidissement] moteur. Derrière le volet latéral droit : la jauge d’huile moteur, le réservoir de lave-glace, le filtre à air (témoin de colmatage au tableau de bord), la commande de relevage cabine, les batteries sans entretien.

En cas d’opération à effectuer sous la cabine, celle-ci bascule à 71°. Un cran d’arrêt évite à une portière mal fermée de s’ouvrir pendant le basculement. La traverse avant multi-fonctions, sert de support :

  • aux échangeurs de refroidissement, air/eau ; air/air et à l’évaporateur du conditionnement d’air
  • à la suspension et au basculement de cabine
  • au boîtier de direction
  • à la ferrure de support de main de ressort n°1
  • au pare-chocs avant

Le support intermédiaire multi-fonctions va réunir, rigidifier, supporter, fixer :

  • les éléments de suspensions et les verrous de fixation arrière de la cabine
  • les longerons de châssis
  • le silencieux d’échappement
  • le filtre à air
  • les filtres à gazole
  • les batteries
  • le coffre à outils

Autour de ce support, les longerons supportent les réservoirs de gazole de forme parallélépipédiques dont la capacité varie de 440 à 550 litres.

Conclusion

Le roulis dénoncé autrefois ne s’est pas manifesté. Au contraire, malgré les suspensions entièrement mécaniques du châssis, le confort de roulement a été excellent, tout comme l’insonorisation moteur ou le filtrage de la direction. Bon, réveiller un ancêtre trentenaire après 10 ans de sommeil ménage quelques surprises, comme cette panne de direction assistée dès le départ … Le confort de marche, la vivacité du moteur, -merci le V8 Mack- , le freinage, la tenue de route sont toujours à des niveaux très actuels. Et cela permet d’imaginer le choc que cela a dû être au printemps 1990 lors de sa commercialisation ! Le Renault V.I AE 500 Magnum a été pour le camion ce que la Citroën DS 19 fut en automobile. On aime, ou on déteste ; que ce soit en 1990 ou en 2023. Nous sommes tombés sous le charme de ce vétéran toujours très vaillant. Mais attention : contrairement aux camions actuels, aucun système de nous préviendra lorsque vous sortirez du « domaine de vol » donc prudence et vigilance sont plus que jamais de mise pour prévenir tout excès d’enthousiasme ou erreur d’appréciation. Vu la nature et la valeur des biens que nous avions dans la semi-remorque lors des deux séances de roulage, on a clairement joué la prudence. Cette fougue se paye, forcément, à la pompe ; le V8 Mack n’ayant jamais eu une réputation de sobriété. Pour les plus jeunes de nos lecteurs, il faudra aussi s’habituer à la commande de boîte manuelle, qu’il convient de manipuler tranquillement, avec finesse et autorité. Une fois bien assimilé le « mode d’emploi » tout se passe bien d’autant que l’ordinateur de bord a la bonté de vous rappeler sur quel rapport vous êtes engagé. La liberté de mouvement dans la cabine continue de surprendre positivement. Aucun camion européen n’a plus jamais repris le concept de cabine à plancher plan avec essieu avancé : l’AE Magnum demeure unique dans l’Histoire. C’est paradoxalement ce qui l’a perdu : dans un monde ne jurant que par les « économies d’échelles », un concept, aussi génial et efficace qu’il soit, n’a plus d’avenir s’il ne peut pas être généralisé et systématisé. Le bien-fondé du concept de base, les ambitions des dirigeants de l’époque (Philippe Gras et Elios Pascual en tête) se trouvent parfaitement légitimés 32 ans après la sortie d’usine de ce vétéran. C’est d’autant plus vrai que les griefs que l’on pouvait faire en 1990 se trouvèrent corrigés en 1996 avec la série Magnum Integral. Sur la route, cet exemplaire de 1èregénération, est loin, très loin, d’être dépassé et on s’insère sans aucune difficulté dans le trafic actuel. Pouvait-on rêver meilleur éloge ? On comprend dès lors pourquoi la lignée AE Magnum a ses fans et que pour le groupe Renault Véhicules Industriels, il ait pris une valeur bien plus que symbolique. Une des difficultés aujourd’hui pour les amateurs est d’en trouver un exemplaire qui puisse servir de base à une restauration.

[1] Renault V.I va vendre cette usine à ZF en 1998. ZF allant à son tour la vendre à Dumarey Powerglide fin 2023.

[2] VIRAGES : Véhicule industriel de recherche pour l’amélioration de la gestion de l’énergie et de la sécurité

[3] En français de Start-Up Nation dans le texte. En Français de Villers-Cotterêts : coup de pouce ou incitation.

3 Responses

  1. Un vrai régal cet article même si je n’ai pas tout compris, n’étant pas fan de camions. Et on voit comment des avances techniques françaises ont été étouffées, on a eu la même chose en ferroviaire

    1. L’AE -comme disent les shnocks- c’est au moins un bahut qui ne ressemble qu’à lui-même.
      Et à l’heure des camions fadasses qui plagient littéralement leur voisin, comme les immondes Ford F max copies du FH ou les Daf XG pompant les Scania, c’est tout à l’honneur du Magnum d’être resté unique en son genre !
      J’ai roulé 2 mois en national dans un vieux 430 Mack approchant le million, souvenirs inoubliables.
      Sa cabine (et particulièrement les volants, toutes générations confondues, étaient laids) aura été sa faiblesse, surtout quand on a roulé en Scania.
      Renault, en bon constructeur Français fénéant et peu passionné aura abandonné le V8 Mack, après avoir lâché son propre 8 pattes quelques années avant !
      C’est Scania et Mercedes qui diront longtemps merci !

      Amicalement, Slim.

  2. Le AE est sortie l’année où j’ai obtenu mon CAP routier et, il a fait parti de ma vie de chauffeur tout au long de ma vie professionnelle sous ces différentes évolutions AE, magnum lite, integrale. Jamais trouvé chez les autres constructeurs un tel plaisir de conduite.

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