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Projet Lyon-Turin : nous avons lu le rapport

Un rapport sur la ligne Lyon-Turin commandé par le ministère italien des Transports a été rendu public la semaine dernière. Selon ce document la ligne à grande vitesse “présente une rentabilité très négative”. Nous avons lu le rapport et nous vous en livrons les principaux points.

Faut-il faire Lyon-Turin ? Ce nouveau rapport italien répond « non » sans ambages. La question qui porte sur la réalisation du tunnel de base et de ses accès italiens et français est régulièrement posée. On sait le projet gigantesque, coûteux et discuté, jusque dans son contour même, selon ce que l’on ajoute au tunnel pour le rendre efficace.

Mais, par-delà les oppositions, et les divers traités entre la France et l’Italie, le projet tout en se traînant de préparatifs en préparatifs avait beau animer les débats, on ne voyait guère poindre de lézardes dans le front intergouvernemental franco-italien.

Pour autant la Cour des Comptes rappelait en 2012 quatre évidences :

  • Toutes les études et rapports recommandaient de différer le projet ;
  • Les évaluations socio-économiques établies en 2011 par la société même du tunnel conduisaient à une valeur économique actualisée nette négative du projet, qui, selon les hypothèses variait entre -3,6 et 17,1 milliards €. Et, il fallait valoriser tous les autres effets « bénéfiques » pour finir par justifier l’investissement.
  • Les coûts étaient sous-estimés.
  • Le financement du projet était « non défini ».

Avec le changement intervenu en Italie, et l’arrivée de partis (Lega et 5 Stelle) nourrissant manifestement des désaccords sur l’opération, il fut décidé de mener une « nouvelle » analyse coûts-bénéfices, confiée à un groupe de travail spécifique (et envoyé au ministère français). Ce rapport a plusieurs intérêts essentiels.

En premier lieu, il examine d’un point de vue critique les analyses précédentes, et singulièrement celles de 2011. On y trouve des critiques fortes, portant bien entendu sur les prévisions de trafic (trop fortes), mais aussi sur des aspects méthodologiques essentiels, concernant tant l’évaluation des effets dits externes (comme la sécurité routière ou la pollution), le décompte des pertes de recettes des acteurs ou de leurs avantages, ou des gains et pertes des clients. Il met en outre en évidence ce qu’il estime être des doubles comptes.

En second lieu il met en cause, de manière assez nette, l’absence de transparence des calculs réalisés pour justifier le projet.

Finalement, le rapport du groupe de travail livre une conclusion nette. Pour lui, « la valeur économique nette actualisée, c’est-à-dire la perte de bien-être – différence entre les coûts supportés et les avantages obtenus – résultant de la réalisation des travaux c’est égal à – 7 milliards. » Les auteurs concèdent qu’il faut retirer à ce chiffre des travaux « utiles » déjà réalisés, ou ceux à consentir pour la sécurité du tunnel historique, ce qui ramènerait le bilan à -5,7 milliards €.

Pendant ces travaux, ceci dit, le contexte a évolué en ce qui concerne la ligne historique – ce qu’a pris explicitement en compte le groupe de travail -.

En effet, en plus de l’écroulement du fret ferroviaire sur la ligne, RFI (le gestionnaire du réseau italien responsable de la mise en œuvre des règles dans le tunnel historique), a pratiquement décidé de limiter la capacité maximale de l’infrastructure qui est désormais estimée par l’opérateur (RFI) à 6 millions de tonnes par an, c’est-à-dire une valeur égale à un peu moins du tiers de la capacité historique de la ligne.

Une décision qui peut provoquer des interrogations, puisqu’elle intervient après que des travaux aient été engagés en 2004 pour augmenter la capacité et augmenter le gabarit du tunnel…. Il se dit aussi que l’impact réel des mesures de sécurité – conduisant pratiquement à exploiter le tunnel en voie unique – est sans doute surévalué.

Toujours est-il que même l’argument évoqué de l’inadaptation de la ligne historique est finalement repoussé par le nouveau rapport italien, rejoignant ainsi les critiques énoncées depuis 20 ans. On ne construit pas (à ce prix), dit-il, un nouveau tunnel pour acheminer 7,5 millions de tonnes quand on dispose d’un tunnel pouvant en acheminer 6 (hors travaux de sécurité supplémentaires).

Pour autant, il reste ce que n’aborde ni ce rapport ni les précédents.

Pourquoi n’assiste-t-on pas au développement d’une offre de transport combiné rail-route – classique – sur le réseau français en général, et sur l’axe Franco-Italien en particulier ? Pourquoi il est semble-t-il si difficile d’obtenir un sillon sur une ligne peu utilisée ? Pourquoi ne pas traiter enfin des conditions à remplir pour avoir une offre compétitive, même si cela met en cause les dogmes de l’organisation et de la position des chantiers de transport combiné, et de la conception des trains ou de la manutention des boîtes ou semi. Pourquoi ne pas développer la motorisation répartie qu’on peut parfaitement adapter à tous les profils… les questions sont malheureusement ouvertes.

Patrice Salini

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One Response

  1. Mr Salini pose la question de savoir pourquoi construit-on un tel tunnel pour 1,5 million de tonnes supplémentaire, parce que déjà, les vallées alpines sont extrêmement polluée par les camions!
    Stagnation du combiné: le 44 tonnes a tué économiquement le combiné, puisqu’il n’y a plus ce gain de poids supplémentaire qui couverait le surcoût ferroviaire!
    La réponse à la troisième question est lié à la stagnation du combiné, décrit ci-avant!

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