SANS DÉTOUR

Tribune de Jean-Philippe Pastre : bienvenue dans un monde meilleur ou pas

Il y a des matins, comme ça, où l’on sait d’avance que la journée va être longue. Ce n’est pas tant l’annonce de la candidature d’Edouard Philippe à la présidentielle 2027 qui avait contrarié Olivier (plutôt proche de ses idées d’ailleurs) mais plutôt cette soudaine et importante fuite d’eau dans la salle de bains. Olivier et Christelle eurent les réflexes pour circonscrire les dégâts mais il fallait désormais trouver un plombier. Christelle retrouva, dans ses archives méthodiquement rangées, une facture d’un artisan de cette honorable corporation. Certes, à Saint-Ouen, là où elle habitait avant d’emménager avec Olivier, mais cela valait la peine d’être tenté. « Surtout qu’il travaillait bien, et pour un prix raisonnable » avant d’enchaîner, un peu inquiète : « J’espère juste qu’il n’est pas parti en retraite ». Le premier numéro, le fixe, échoua sur un répondeur lui affirmant qu’il n’y avait plus d’abonné. Elle essaya le portable, en désespoir de cause. Par chance, à la deuxième sonnerie, une voix masculine, éraillée par des années de Gitanes blondes, lui répondit. Après un rapide descriptif de la situation son interlocuteur l’interrompit et lui posa soudainement la question.

« Mais où êtes-vous ? »

« A Paris, vers le Père Lachaise »

« Houlalàa, mais c’est que moi j’ai quitté Saint-Ouen depuis début 2024, je suis désormais à Enghien-les-Bains à cause de la ZFE. Entre les difficultés de stationnement et mon Kangoo Crit’Air 2, je ne pouvais plus travailler. Je ne peux rien pour vous et je ne connais plus de confrères sur Paris. Vraiment désolé. »

« Attendez, vous ne pouvez vraiment pas ? » fit Christelle, prenant un ton implorant.

« Non, non , je ne prends pas ce risque, car avec les radars automatiques qui ceinturent toutes les portes de Paris, payer 135€ pour un dépannage, je ne peux pas me le permettre » répondit l’homme, visiblement embarrassé.

Dépités, ils se précipitèrent chacun sur leurs smartphones et exploitèrent les moteurs de recherche à la quête du Graal : à savoir, un plombier !  Olivier composa le premier un numéro trouvé au hasard des référencements internet.

« Aqua-Services bonjour » répondit une jeune femme, visiblement dans un standard téléphonique à entendre les autres conversations en bruit de fond.

« C’était pour intervention rapide. Quand pourriez-vous venir ? » s’enquit Olivier.

On entendit dans le combiné téléphonique le discret mouvement des doigts sur un clavier. Puis la voix reprit : « Dans le meilleur des cas, en fin d’après-midi vers 17h30 ou 18h00 »

« Ah ? » répondit Olivier dans une moue mi-figue, mi-raisin.

« Quelle est votre adresse ? » poursuivit la voix féminine.

« 11 rue du Salut, dans le 20ème arrondissement, près du Père Lachaise » répondit Olivier.

« Je vois. Pour information, notre venue sera facturée 250€ avant toute intervention »

« Quoi ! Combien avez-vous dit !? » s’étrangla Olivier.

« Oui monsieur, nous sommes désolés, mais avec la ZFE, nous ne pouvons que venir en véhicules électriques, et entre les bouchons, le temps perdu à chercher une place de stationnement, et les éventuelles amendes de stationnement à 135€, nous ne pouvons pas faire autrement »

« Mais c’est du vol caractérisé » s’emporta-t-il, suscitant soudainement un regard interrogateur et inquiet de la part de Christelle.

« Monsieur, je suis désolée, mais ce sont nos conditions générales de service. Si cela ne vous convient pas, essayez un autre prestataire, je ne peux pas vous dire autre chose » répondit froidement la voix féminine, visiblement habituée à ces hurlements de mécontentement teintés de surprise.

« Non, non, laissez tomber, on trouvera moins cher » clôtura Olivier.

« Que se passe-t-il ?» s’enquit Christelle qui essayait vainement de son côté à trouver âme qui vive au bout de la ligne.

« On nous demande 250€ de frais de déplacement, hors intervention » hurla Olivier, visiblement de plus en plus remonté.

« Mais c’est du vol » s’exclama à son tour Christelle. Elle s’apprêta à composer un cinquième numéro lorsque le smartphone d’Olivier vibra et clignota de façon frénétique.

« Bonjour, je suis bien en présence d’Olivier Icks ? » fit une voix interrogative.

« Oui, c’est moi. C’est pour quoi ? » déclara-t-il, tentant de retrouver un semblant de calme et d’aménité.

« C’est la société de transport EIM, nous avons bien reçu votre commande. Nous devions vous livrer ce jour mais notre livreur nous a annoncé qu’il serait à court d’autonomie pour votre livraison ce soir. Il devra revenir sur base pour recharger. Votre livraison doit être reportée à demain, voire après-demain car cela remet en cause notre plan de transport. » expliqua l’interlocuteur plutôt juvénile.

« Non, mais décidément, c’est la journée » explosa Olivier « Et vous ne pouvez pas trouver un autre véhicule ? C’est incroyable qu’un groupe comme EIM ne puisse pas livrer sur Paris tout de même ! »

« Non monsieur, désolé, nous avons 6 camions électriques pouvant accueillir des colis comme votre canapé convertible, et ils sont tous mobilisés sur le territoire de la ZFE de la métropole de Paris. »

Olivier et Christelle, si fiers de leur loft avec vue imprenable sur le cimetière du Père Lachaise (un calme inouï à Paris) commencèrent presque à envier leurs frères et sœurs vivant au fin fond de la Bourgogne et de l’Auvergne. C’était oublier qu’eux roulaient dans d’infâmes voitures « roulant au Diesel » comme disait avec mépris Olivier, si fier de son SumoBike électrique avec benne portant 45 kg de charge. C’était également oublier et que leur moindre déplacement administratif, exigeait (au moins) 25 km de route dans chaque sens et qu’une consultation à l’hôpital représentait au bas mot 60 km aller.

2 Responses

  1. Une dernière phrase a du s’échapper de la tribune, je viens de la retrouver “Et c’était aussi oublier que pour se rendre dans la capitale de l’Auvergne ou de la Bourgogne, ils rencontreront bientôt aussi des ZFE. “

  2. “Bien venue dans un monde meilleur” c’est aussi une BD best-seller parue cette année que je vous conseille de lire.
    Cher Jean Pierre, J’ai moi aussi habitait Paris 20ieme rue Pelleport pendant 25 ans et j’ai plaisir à lire votre tribune , père lachaise , place gambetta, rue mesnilmontant ….. de bons souvenirs.
    Bref c’est fini, si vous lisez la BD ou écoutez Jean marc Jancovici sur YouTube ce que vous décrivez il le décrit depuis 20 ans, et c’était prévisible. Deux éléments essentiels à bien comprendre et essentiels pour notre vie future. LA DERIVE DU CLIMAT , LA PENURIE DES MATIERES FOSSILES (merveilleux pétrole).
    Dur dur à avaler, notre façon de vivre va changer. Et vous commençez à comprendre que les grandes métropoles n’ont plus leurs raisons d’être. Autant depuis deux siècles notre civilisation a abandonné nos campagnes pour les villes (au XVIII ème 80% de la population travaillait la terre), autant aujourd’hui c’est l’inverse et nous retournons dans les campagnes. Les grandes villes ça va devenir infernal. Alors oui la Dordogne ou la Lozère deviennent des petits paradis, faites votre valise et vendez votre petit appartement parisien , vous aurez un château ou un moulin pour le même prix, mais ca ne va durer. Et vous ferez comme je le fais, vous évoquerez le père lachaise avec nostalgie, c’était le Bon temps j’étais jeune.

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