Camions PEM

PEM TRM24 : nous avons conduit le Renault Trucks E-Tech D

Quand l’électrique fil(e) doux

Cela commence à devenir une habitude : quand TRM24 a une idée loufoque, cela finit souvent chez Renault Trucks. Cette fois-ci, le pari était de faire le parcours habituel en Nord Dauphiné, avec un Renault Trucks E-Tech D à vocation urbaine pour voir son autonomie et ses aptitudes en usage régional. Sommes nous tombés en panne de batterie ? Avons-nous dû déployer le spinnaker pour avancer au gré du vent ? Les réponses à ce suspense insoutenable sont à suivre ci-après.

Par Jean-Philippe Pastre

pastre@trm24.fr


Conception d’ensemble


Etroitement dérivé des Renault D thermiques et fabriqué sur la même chaîne d’assemblage que ceux-ci à Blainville-sur-Orne, il en reprend toute la physionomie. C’est peut-être là une limite du concept : toute cette innovation demeure invisible pour le profane qui n’y voit qu’un « camion comme les autres » à la différence de nouveaux entrants comme Volta Trucks par exemple. Le travail des ingénieurs a porté sur la concentration des éléments spécifiques à la traction électrique dans un volume équivalent à celui de la chaîne de traction d’origine. Un avantage en termes de montage en usine. Convertisseurs de courants, unités électroniques, chargeur embarqué (d’une capacité de 22kW), pompes d’assistance et servomoteurs se retrouvent sous la cabine. Le liquide de refroidissement, toujours indispensable pour les batteries, l’électronique de puissance et les moteurs, se contrôlent depuis l’avant en levant le capot de calandre. Les batteries de traction de type Nickel Manganèse Cobalt sont logées latéralement, à l’extérieur des longerons : détail qui n’en est pas un pour les carrossiers, ces packs sont intangibles et monoblocs. Un pack de batteries de 66kW (théoriques, soit 53kW disponibles), dans son caisson de protection et avec ses périphériques, pèse 530 kg. On peut disposer de 3 à 6 packs de batteries (soit de 200 kWh à 395 kWh théoriques sous 600 V de tension). Le modèle de la prise en mains disposait de 4 packs de 66 kWh soit 265 kWh théoriques (211 kWh effectifs). Ceci correspond à la définition standard France. L’évolution de leur densité énergétique est déjà annoncée, portant celle-ci dès la fin d’année 2022 à 90kW théoriques et 63 kW exploitables dans le SOC1. Mais cette masse considérable se trouve, fort heureusement, concentrée en léger contrebas des longerons, au bénéfice de la stabilité du véhicule. La masse brute du châssis-cabine dans cette variante d’empattement est de 4400 mm et en cabine courte de 7256 kg, ce qui laisse une charge utile brute (hors carrossage) de 8744 kg. Le Renault Trucks E-Tech D de la prise en mains est un 16t de PTAC administratif avec sa dérogation (16,7 t en réel) à silhouette 4×2 et aucun PTRA n’est homologué. Ce qui signifie qu’il ne peut pas être porteur-remorquant.

Moteur

Aïe, aïe, aïe, pour qui a le souvenir de la vigueur ferroviaire du moteur électrique ou des démarrages puissants des métropolitains, la déception sera au rendez-vous. Il faut se faire une raison : ici c’est « court sur pattes ». Tout particulièrement dans les montées. Et pourtant, nous étions bien en deçà du PTAC maximal ! En effet, avec seulement 425Nm de couple et 130kW de puissance disponible en continu (mais temporairement 185kW en crête, typiquement lors des démarrages), on se croirait revenu à l’époque héroïque des Renault Midliner (le bruit et les fumées en moins) ! Il s’agit ici d’un moteur à aimants permanents également utilisé dans les autobus Volvo 7900 de la branche Volvo Buses. La firme ne détaille pas le nom de son fournisseur. Il s’agit d’un moteur synchrone, où le rotor tourne à la même vitesse que le flux magnétique généré par le courant électrique dans l’aimant (ou électro-aimant). Les moteurs synchrones à aimants permanents offrent de bons rendements mais ils sont exigeants en termes de refroidissement et en électronique de puissance, ce qui explique l’importance des échangeurs en face avant. Contrairement à une idée répandue, la vraie criticité en termes de matériaux (en particulier les fameuses « terres rares ») ne se concentre pas tellement sur les batteries (quoique…) mais sur l’électronique et les moteurs électriques … à aimant permanents ! A l’inverse, leur rapport poids/puissance est intéressant, ce qui explique certainement le choix fait en faveur de cette solution en combinaison avec une boîte à 2 rapports. Il est placé en position « centrale avant » dans le châssis. Comme avec tout moteur électrique, on note une absence totale de vibrations et une linéarité quasi parfaite des accélérations, ce qui est très agréable. Le moteur unique a eu fort à faire avec certaines montées, ce qui s’est soldé par l’effondrement de la vitesse dans les côtes les plus sévères abordées sans élan. Mais à l’inverse, sur autoroute il n’en est rien paru, bien au contraire puisqu’il a toujours tenu la vitesse de consigne au programmateur. Ces difficultés dans les montées les plus sévères est inquiétant vu que le modèle de la prise en mains était carrossé mais encore loin de son PTAC (nous étions à 86% de celui-ci) ! Cela confirme également le piètre ressenti vécu à bord de son jumeau le Volvo FL Electric. Il y a clairement un sous-dimensionnement identifié qui pénalise autant l’agrément que la polyvalence d’utilisation. Pour les prises de force, aucun entraînement mécanique n’est prévu. Il faut spécifier un équipement électrique complémentaire ou bien un accès au 600V DC en option lors de la commande.

Transmission

 

On pourrait imaginer, grâce au moteur électrique et à son électronique de puissance, pouvoir se passer de toute boîte de vitesses. Il n’en est rien, ceci s’expliquant par la volonté d’optimiser le rendement du moteur électrique. Il s’agit ici d’une boîte mécanique à 2 rapports avec une seconde originalité : il n’y a pas d’embrayage à friction ! Pour être précis en terme mécanique, on devrait parler en l’espèce d’un réducteur à 2 vitesses. Une complexité technique qui s’explique par le choix fait en faveur d’un moteur synchrone à aimants permanents. A notre grande déception, on perçoit le passage des rapports, autant en montée qu’en descente. Le passage de 1ère en 2ème se fait, au plus tard à 40km/h. Au rétrogradage, pour peu que l’on ait la récupération d’énergie sollicitée au maximum, on sent soudainement la retenue lors du couplage avec le 1er rapport. Au grand dam de la progressivité et des usagers qui seraient un peu trop près derrière. Outre ce ressenti, il faut y ajouter parfois un temps de latence bien marqué. Dans les montées, cela ne fait évidemment pas les affaires du moteur qui doit vaincre l’inertie ainsi créée. Mais, à la différence des boîtes robotisées associées aux moteurs thermiques, il n’y a pas d’embrayage à ouvrir lors des phases d’arrêt. Le redémarrage aux feux est donc instantané. En manœuvres de précision, l’absence d’embrayage est également appréciable, l’entraînement du moteur électrique se pilotant avec une grande finesse au pied. Il semblerait qu’il n’y ait pas non plus le choix pour le rapport de pont : c’est 1 :4.5 sinon rien ! Bref, un bilan mitigé à ce chapitre.

Pour la partie liaisons au sol la direction assistée hydraulique dispose de sa pompe électrique dédiée.

Liaisons au sol


On retrouve l’architecture châssis échelle, essieu avant et pont arrière rigides, suspension pneumatique intégrale avant et arrière. Spécificité du modèle E-Tech, il a droit à la suspension pneumatique intégrale en série ! Les jantes en alliage sont en option et ont pu améliorer le ressenti du « toucher de route » en réduisant les passes non suspendues. Les pneumatiques sont des 285/70R19, ici d’origine Bridgestone R-Steer 02 à l’avant (en indices 146/144M) et Bridgestone R-Drive 002. La capacité technique maximale est de 5.8 t à l’avant et de 10.9 t à l’arrière. Le pont arrière est le Renault P1150 à simple réduction, nous avion ici l’option blocage de différentiel intégré. La direction est à entraînement hydraulique, mais entraînée par une pompe électrique. Que du classique, mais qui a donné toute satisfaction à l’usage.

Freinage


Pour chasser les bruits de compresseurs d’air, masqués avec un moteur thermique mais très apparents dans le cas d’un véhicule électrique infiniment plus silencieux, Renault Trucks a retenu sur ses  E-Tech un compresseur à spirale plutôt que les traditionnels systèmes à pistons. Ce compresseur dispose de son propre circuit de refroidissement hydraulique ! Le dispositif de freinage a recours à deux circuits électro-pneumatiques indépendants agissant sur des freins à disques montés sur toutes les roues. Il comprend le dispositif obligatoire anti-enrayage ABS, l’EBS avec fonction d’équilibrage d’usure des plaquettes ainsi que le contrôle de stabilité ESP. L’atout de l’électrique est, la récupération de l’énergie cinétique à la décélération. On réalise très vite que l’on est à bord d’un Renault « de la vieille école » puisque la commande se trouve en main gauche !  Subtilité très appréciable, et constituant une des (rares) différences entre les Renault Trucks E-Tech D et Volvo FE Electric : ici le constructeur a retenu un levier « de ralentisseur » en série pour gérer la fonction de récupération d’énergie. Attention, cette fonction n’est active qu’en deçà d’un certain seuil d’énergie dans les batteries. En clair : si vous quittez votre dépôt, batteries pleines, et que vous commencez la tournée par de longues descentes, ne comptez pas sur la récupération d’énergie qui sera inhibée, il faudra tout faire au freins !  Autre piège non moins redoutable, cette fois-ci partagé avec les Renault Trucks D thermiques : la fonction d’aide au démarrage en côte est ultra piégeuse puisqu’elle est temporisée, qui plus est sur un temps très court. Un véritable piège maintes fois évoqué ici. A l’usage, on lui préfèrera le frein de parc. Comme il n’y a pas d’embrayage, on aura d’autant moins de réticences à utiliser celui-ci pour les démarrages en côte. Alors, pourquoi 3 étoiles malgré cette présentation sévère ? Tout simplement parce que, malgré ces pièges redoutables évoqués précédemment, ce freinage dit « coopératif » entre récupération d’énergie et freinage à friction fonctionne en parfaite transparence et progressivité. En outre, Renault Trucks a la présence d’esprit de monter en série la commande manuelle de récupération d’énergie, fort utile au quotidien. Puissance de retenue et progressivité sont bien là, en toutes circonstances. Les bruits de freins d’origine pneumatique sont parfaitement contenus.

Cabine et carrosserie


Pour le confort et la vie à bord, le choix de la cabine sera déterminant. On retrouve là les commentaires faits à propos des Renault Trucks D Wide déjà testés par TRM24. Nous disposions de la cabine courte dite Day Cab de 1600 mm de longueur hors-tout. Son seul mérite est de préserver la longueur carrossable et la longueur hors-tout. Car, pour le volume habitable (et même pour une simple question d’amplitude de réglage de siège), il est infiniment plus recommandable d’opter pour la cabine intermédiaire dite Global (2000 mm de longueur hors-tout). L’accessibilité est excellente profitant de la combinaison entre l’angle d’ouverture de porte et un seuil de plancher bas. En outre, malgré l’âge canonique de la conception de cette cabine (qui remonte au Renault Midlum commercialisé en 1999), elle demeure très moderne grâce à certains aménagements, comme la porte Vision. Laquelle est montée en série pour le Renault E-Tech ce qui est cohérent avec la vocation urbaine du modèle. Une porte Vision qui fait figure, 23 ans après sa présentation, de référence en termes de fonctionnalité : elle diminue très sensiblement l’angle-mort côté droit, au point de révéler l’absurdité des vignettes obligatoires d’angles morts. En effet, ce sont elles qui créent ici une gêne à la vision latérale. Enième (et tragi-comique) illustration de l’absurdie administrative française. Cette porte Vision est aussi une référence fonctionnelle pour le passager car elle préserve la fonction d’ouverture de vitre côté droit. L’astuce tient au coulissement horizontal, façon Renault 4, de la vitre. Une astuce que certains autres constructeurs n’ont toujours pas saisi. D’une manière générale, la visibilité demeure un des points forts du modèle (même sans les caméras anti-angle morts) et cela que ce soit en ville à basse vitesse ou à l’approche des ronds-points. Pour le carrossage, si le catalogue de lancement se limitait aux empattements 4400 et 5300 mm, l’offre va s’étendre dès la fin de l’année 2022 avec la disponibilité annoncée de pas moins de 8 longueurs supplémentaires (3800 mm ; 4100 mm ; 4700 mm ; 5000 mm ; 5600 mm ; 5900 mm ; 6200 mm ; 6500 mm) sur cette silhouette 4×2 en 16 t de PTAC. La carrosserie montée sur le véhicule était de type fourgon rigide pour fret sec, réalisée par le carrossier Regnault de Coutances (Manche). Le poids de la carrosserie (pour une longueur du fourgon supérieure à 6.8 m et une largeur hors-tout de 2.55 m) est, avec le hayon rabattable Dhollandia 1500kg à entraînement élctro-hydraulique, et une porte latérale, de 506kg. Une belle performance. Du fait de la présence des packs batteries, la porte latérale ne servira qu’à la dépose ou l’enlèvement de colis que l’on aura pris soin de poser ou de faire glisser jusqu’au seuil car aucun emmarchement ou échelle ne peut être installé. La finition fut excellente et aucun bruit parasite émanant de la carrosserie ne fut à déplorer. D’ailleurs, la finition, sur l’ensemble du véhicule, fut remarquable par sa qualité d’assemblage.

Pour les carrossiers, il faudra faire très attention à l’encombrement des accumulateurs électriques qui sont intangibles car faisant partie intégrante de l’homologation du véhicule. Pour les prises de mouvement, il faut bien penser à spécifier dès l’établissement du devis le moteur électrique auxiliaire d’entraînement éventuellement nécessaire pour l’éventuel équipement. Une autre option du catalogue Renault Trucks peut s’avérer très précieuse : le branchement direct en 600 V courant continu utile pour les groupes froid des véhicules sous température dirigée. Evidemment, cette énergie prélevée sur les packs batteries diminuera d’autant l’autonomie en kilomètres. Mais cette liaison électrique directe économise du poids, optimise le rendement énergétique et permet aux groupes froids dédiés de travailler à pleine puissance indépendamment de la vitesse de roulage.

La porte Vision qui préserve la fonctionnalité d’ouverture de la vitre passager.

Confort et tenue de route


Pour une fois, la surcharge pondérale a du bon. En effet, les batteries de traction étant placées sur les côtés, et en contrebas des longerons, on bénéficie d’un excellent centre de gravité. Les camions apparaissent ici nettement avantagés face aux autobus à batteries dont les accumulateurs sont placés sur le toit. Donc, pas d’effet culbuto ici. La tenue de route est vraiment sans souci, le véhicule permettant même quelques fantaisies dans les courbes rapides. Les suspensions s’accommodent également très bien de cette masse élevée. Le compromis confort/tenue de route profitant également de la suspension pneumatique intégrale montée ici en série. Le confort profite, évidemment, à plein du silence qui règne à bord. Un silence que le roulement des pneus ne parvient même pas à troubler, un mérite qui revient ici aux Bridgestone 002 R-Steer et 002 R-Drive. Sur route ou autoroute, on en arrive à avoir l’illusion de conduire un autocar de tourisme puisque seul l’écoulement de l’air sur le pare-brise est clairement perceptible. Signalons toutefois que le modèle de la prise en mains disposait des options carénages latéraux et déflecteur de toit, ce qui a pu ôter certains sifflements d’origine aérodynamique. Aucun phénomène de roulis ou de tangage intempestif n’est à déplorer. Certes, sur certains dos d’ânes, le fait d’être en 2 essieux au lieu de 3 se fait sentir, mais le sujet est clairement bien maîtrisé. La direction offre un très bon ressenti de l’adhérence et exige des efforts raisonnables, même en manœuvres lentes. Le souci en termes de confort concerne le volume utile dans l’habitacle, franchement limité dans le cas de la cabine courte dite Day Cab. Les grands gabarits vont se sentir tassés contre le volant du fait du manque d’amplitude de réglage de l’assise, et pire encore, du dossier. Pour trouver une bonne position de conduite, pas de mystère : il faudra passer à la cabine dite Global.

Vie à bord


Si l’habitabilité et les espaces de rangements ne constituent clairement pas le point fort de la cabine courte dite Day Cab, Renault Trucks a toutefois tenu à faire une offre très cohérente en termes d’équipements pour faciliter la vie à bord. Il y a d’une part la facilité d’accès. Mais c’est dans les évolutions que l’on note les progrès accomplis : les boutons de commandes sont rétroéclairés en blanc, ce qui les rend lisibles en soirée. Fort intelligemment, sur les modèles E-Tech, le pare-brise dégivrant est ici monté en série, ce qui épargne de précieux kW pour les batteries de traction et améliorera la visibilité en période hivernale bien plus sûrement qu’en utilisant l’air pulsé. Idem pour le siège conducteur disposant en série de l’assise et du dossier chauffant (vous avez bien lu !). Là encore, cela coûte moins cher en énergie de chauffer un siège que de tempérer l’air de la cabine (l’air étant un isolant). Mais, sur ce point, Renault Trucks a pensé à monter le préchauffage de cabine programmable. Il suffit d’y penser pendant les temps de recharge pour concilier confort à bord et autonomie. Autre gâterie des modèles E-Tech (peut-être pour faire oublier le prix de l’engin) : le volant est revêtu de cuir. La climatisation également montée en série est ici manuelle, ce qui n’est guère surprenant vu la vocation du modèle. Le programmateur de vitesse est systématiquement couplé ici avec le radar de distance ACC. L’autoradio d’origine est compatible DAB+, et dispose de la connectivité Bluetooth 4.0 pour flux audio en Streaming et avec fonction mains libres et bénéficie du fameux satellite Renault de commandes sous le volant. Une vraie trouvaille ce petit satellite dédié à l’autoradio ! Les espaces de rangements pâtissent de la petitesse de la cabine. Parmi les options, signalons l’accoudoir passager, la banquette passager 2 places avec accoudoir et vérin de coffre, la prise pour soufflette en console centrale et les prises de courant 12V et 24V sur tableau de bord. Le pare-soleil dit Viscope chez Renault Trucks était également monté. Parmi les accessoires, on a pu tester l’écran Brigade affichant les vues des différentes caméras anti-angle-morts. La vue d’oiseau se révèlera assurément très pratique lors des manœuvres de stationnement sur les places de livraisons urbaines. Il s’agit d’un accessoire disponible en seconde monte chez Renault Trucks. En conduite, on profite de la douceur et progressivité lors des manœuvres de précision ou dans les bouchons. En revanche, Renault Trucks a choisi de ne pas faire « ramper » son véhicule. Ce qui impose d’être vigilant et de contrôler au tableau de bord, via le témoin dédié, la mise en marche, ou pas du véhicule. A propos de témoins, on râlera contre le détecteur de franchissement de ligne, dont le bruit évoque immanquablement des jeux vidéo des années 1980. Plus grave, l’absence de tout témoin de veilleuse ou de feux de croisement. La planche de bord est classique, logique, bien assemblée. Le choix des teintes pour la planche de bord est agréable car lumineux sans être éblouissant au soleil. Pour plus de précautions, Renault Trucks a choisi de faire figurer à gauche du bloc d’instrumentation le voltmètre qui donne le stock d’énergie disponible en plus de l’affichage numérique dans l’écran multifonctions côté droit. Aucune intégration pour affichage GPS n’est prévue ici. Bref il y a du très bon sur l’E-Tech grâce à l’insonorisation et aux astucieux choix d’équipements montés en série, mais le handicap en habitabilité et espaces de rangements de la cabine courte est difficile à surmonter pour rendre la vie à bord pleinement agréable.

La maintenance se limite essentiellement au contrôle des circuits de refroidissement.

Maintenance

On peut voir ce sujet de deux façons : « génial je n’ai rien à faire » pour les plus optimistes ; ou pour les plus grincheux « tout est verrouillé par le constructeur ». Cela d’autant plus que, compte tenu de l’absence de recul et de l’omniprésence de l’électronique embarquée, Renault Trucks ne commercialise ses modèles E-Tech qu’avec un contrat d’entretien tout compris dit Excellence incluant le remplacement des pièces d’usure (comme les plaquettes de freins, qui hormis le cas évoqué au chapitre freinage, ne serviront pas beaucoup) les réparations éventuelles pour tous les éléments du châssis, de la cabine et de la chaîne cinématique, l’entretien et les diagnostics et mises à jour électronique. Le véhicule de la prise en mains nous a d’ailleurs gratifié de quelques gags électroniques au niveau des afficheurs d’autonomie, ou de la centrale clignotante. De même, avec le Renault Trucks E-Tech D, vous avez obligatoirement le contrat Optifleet associant la géolocalisation, le module de suivi et contrôle des données techniques du véhicules et les temps d’activité du conducteur (chronotachygraphe). Le prix ? Secret Défense, mais selon certaines sources fiables mais non autorisées, il se situerait autour de trois fois la valeur d’un Renault Trucks D équivalent. A cela il faut ajouter l’installation de charge. Renault Trucks préconise ce qu’il appelle le Mode 3 à savoir un chargeur dédié (type WallBox de 22 kW en courant alternatif). Sur le modèle de la prise en mains, cela signifie une recharge complète en 11 heures. La charge rapide avec un en courant continu est possible jusqu’à 150 kW de puissance. Ce type de chargeur est infiniment plus coûteux et exige des travaux de génie électrique et de génie civil potentiellement assez lourds. Et cela sous réserve que les locaux soient susceptibles d’être raccordés par une telle puissance. Une rigidité à relever : une seule prise CCS Combo2 est prévue, côté gauche, après la cabine, à peu près à la cote d’entrée de carrosserie. Dommage qu’aucune option ne permettre d’envisager plusieurs prises. Là encore, la conception des aires de remisage et de charge pourrait bien devenir déterminante. Petite astuce pratique : si votre tournée commence par des descentes, programmez la recharge pour un maximum de 85 à 90% : cela rendra le récupérateur d’énergie disponible immédiatement comme ralentisseur. Il fournira des kW gratuits ! D’ailleurs Renault Trucks assure la mise en mains, et surtout la formation en conduite rationnelle pour ces véhicules où l’art de la récupération d’énergie est poussé à son paroxysme. Rappelons que les circuits « haute tension » exigent une habilitation courants forts, donc pas question d’y toucher en atelier.  Ce câblage, sous 600V est repéré en orange, et ne sert que pour le stockage de l’énergie des batteries de traction et la chaîne cinématique. Le circuit traditionnel sous 24 V demeure. Autre spécificité : l’importance des circuits de refroidissement ! Batteries, moteur et même périphériques ont recours à une gestion thermique très fine assurée par refroidissement liquide. En contrepartie, filtres à huile, à air, huile moteur, circuits de gazole, appartiennent au passé. En ce qui concerne l’autonomie dans le temps, Renault Trucks anticipe une perte très légèrement supérieure à 2% par an. Un chiffre corroboré par l’expérience acquise dans le domaine des autobus urbains. Plus que le sujet de la perte de capacité des accumulateurs, se pose la question de la valeur vénale de tels camions dont la vitesse d’obsolescence (du fait des progrès à attendre des batteries) relève plus de celle de l’informatique ou des Smartphones que de celle des véhicules industriels. Renault Trucks fait tout pour maximiser l’accompagnement, mais la prise de risque existe. Mais les ZFE-m laissent-elles le choix aux transporteurs ?

Conclusion

Les causes produisant les mêmes effets, le verdict final arrive aux mêmes conclusions. En effet, le Volvo FL Electric (jumeau du Renault Trucks E-Tech D) a terminé avec le même classement. Alors pourquoi cette fois-ci un verdict aussi sévère sur un tout autre parcours ? A notre immense surprise, c’est l’usage urbain qui a révélé les faiblesses du modèle alors qu’il a superbement assuré sur les tronçons autoroutiers. Vous avez bien lu ! Et le coupable est identifié : il s’agit de la chaîne cinématique, moteur et boîte. Certes, ce n’est pas aussi caricatural qu’à bord du Mercedes-Benz eActros300 porteur 4×2, mais le passage des rapports de 1ère en 2de se fait toujours sentir. Et le rétrogradage demeure également beaucoup trop sensible si l’on a enclenché la récupération d’énergie, la retenue devenant d’un coup très forte lorsqu’il engage la 1ère. En prime, dans les montées (nous avons osé la Croix-Rousse), malgré une charge très, très modérée (nous étions à environ 13 880kg en ordre de marche avec l’équipage pour 16t autorisés au PTAC) il a vraiment été à la peine. Bref, à pleine charge, il faudra stoïquement subir l’ire des automobilistes ralentis derrière tout en constatant l’emballement de l’ampèremètre qui affiche les 100% de puissance absorbés. Bizarrement, sur autoroute, il a tenu vaillamment ses 85km/h au programmateur (sans fonction d’anticipation des côtes toutefois mais avec ACC en série). Mieux encore, la récupération d’énergie lui a permis de ne pas dévier de la vitesse de consigne dans les descentes. Vive le moteur électrique qui sait devenir génératrice le cas échéant ! Malgré notre périple jusqu’à Rives (Isère) et l’usage sur autoroute, nous avons pu refaire une boucle, sans recharge intermédiaire jusque sur le plateau de la Croix-Rousse. Pour un total lors de cette prise en mains de 185 kilomètres. Il nous restait 38% d’énergie à la fin de nos boucles de roulage. Donc, les 200 kilomètres sont aisément atteignables, sans tricher, tant que l’on ne prélève pas d’énergie complémentaire dans les batteries de traction (par exemple pour un groupe froid, une grue ou tout autre équipement). Nous avons roulé au printemps entre +18 et +25c°, sans recours chauffage ou à la climatisation, ce qui a une influence positive sur le bilan énergétique. Enseignement inattendu : sur l’autoroute, les batteries sont peu sollicitées car la vitesse y est quasiment constante, mais en contrepartie, cette demande d’énergie est continue. Donc il faut bien anticiper le sens de ses tournées pour ne pas être surpris en fin de journée. A l’inverse, en ville et sur route, la succession de démarrages et d’arrêts laisse paradoxalement pas mal d’occasion de faire de la récupération d’énergie pour peu que l’on anticipe à la conduite. Reste à voir comment ces batteries vieilliront dans le temps …

L’autre source de ce classement sévère est d’ordre financier. Renault Trucks ne commercialise cette gamme qu’avec des contrats de maintenance. Une sécurité et une tranquillité d’esprit pour le client qui se paye … en plus du véhicule de base ! Et là, le pudique silence qui entoure la question n’inspire rien de rassurant (allez, on parie entre 2.5 et 3 fois plus cher que le modèle Diesel). Et il ne faut pas non plus sous-estimer l’importance de l’infrastructure de recharge ou des conditions d’exploitation sur la disponibilité du véhicule. Même si cette prise en mains à plutôt levé les craintes liées à l’autonomie. Moralité, même si le Renault Trucks E-Tech D a pu s’aventurer sur route et autoroute, le rapport prix/polyvalence reste un sujet sensible, plutôt pour des questions de coûts d’achat, d’infrastructure, de charge utile et de carrossage (encombrement des packs batteries, incompatibilité ADR, etc) que d’aptitudes routières. Le peu de choix offert pour les motorisations ou de transmission n’arrange rien. Sa vraie justification commerciale réside dans la possibilité de pénétrer dans les ZFE-m. Pour aller de Lyon à Saint-Etienne ou Grenoble (trois Métropoles aux régimes de ZFE-m différents !) on peut d’ores et déjà rassurer nos lecteurs : le Renault Trucks E-Tech D peut le faire dès aujourd’hui.

One Response

  1. Bonjour,
    Merci pour cet article qui met en avant les atouts de notre gamme électrique, et le point de progrès sur la chaîne cinématique du 16t (1 moteur électrique) qui a été testé sur des montées de 8 à 12 % environ. C’est un point d’amélioration que nous prenons en compte même si nos clients, en condition réelle d’exploitation, sont satisfaits par le brio du véhicule pour leurs activités de transport. Nos véhicules en version 19t et 26t sont quant à eux équipés de 2 moteurs électriques qui ont fait forte impression aux conducteurs de B.O.M sur les mêmes pentes de la Croix-Rousse, je vous invite à les tester.
    Concernant le côté financier, il est important de parler de coût de détention (TCO) lorsqu’on aborde l’électrique, car c’est celui-ci qui permet de réellement comparer un véhicule thermique classique à un véhicule électrique. Inclure le coût de l’énergie, de la maintenance, de la borne de recharge en plus de l’investissement initial permet de prendre en compte tous les coûts d’exploitation. Les coûts de l’énergie étant bien moins élevés pour un véhicule électrique qu’un véhicule diesel ou gaz, une partie du surcoût d’investissement est gommé. Sans cela, le produit ne serait pas viable économiquement pour nos clients et ils sont de plus en plus nombreux à le comprendre et faire le pas vers l’électrique. Le TCO d’un véhicule électrique est aujourd’hui très intéressant, notamment en incluant les dispositifs de suramortissement et d’aides de l’état, au vu de l’envolé des prix des énergies fossiles. On parle d’environ 10% de surcoût au km pour un 16t électrique faisant 30 000km/an pour donner un ordre de grandeur aux lecteurs. Et cela afin de réduire nos émissions de CO2 de 80% sur le cycle de vie complet d’un véhicule (incluant recyclage batterie, etc…).
    Okan Cavusoglu

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